Cet article est extrait du n°8 de la revue Y, téléchargeable ici.

À l’heure où la France semble secouée par une vague réactionnaire, certains n’hésitent pas à hausser le ton afin se faire entendre. C’est le cas d’Olivier Ciappa, artiste polymorphe qui n’a pas hésité à mettre son travail au service de causes qui lui semblaient justes. On le connaît surtout pour la polémique autour de sa Marianne aux traits de la militante Femen Inna Shevchenko et pour son œuvre photographique Les Couples imaginaires. Financée grâce au crowdfunding, cette exposition fut présentée cet été à la mairie du 3e arrondissement de Paris et sera visible à partir de décembre 2013 place de la République à Paris. Malgré sa nouvelle notoriété, c’est en toute simplicité qu’Olivier Ciappa a accepté de nous recevoir un dimanche soir autour d’un thé. Retour sur le parcours de cet autodidacte engagé.

Photographie : (c) Olivier Ciappa.

Photographie : (c) Olivier Ciappa.

Olivier Ciappa, on te connaît aujourd’hui en France pour ta Marianne et l’exposition Les Couples imaginaires mais surtout par les polémiques qui les entourent. Pourrais-tu revenir pour La Revue Y sur ton parcours ?

J’ai grandi à Tahiti et j’y ai vécu jusqu’à mes 17 ans. Par la suite, je suis venu en France faire une école de cinéma. À l’époque, j’avais fait un prêt pour payer uniquement une année d’école sur les quatre, puis je me suis rendu compte que c’était illusoire, que je ne pourrai pas finir. J’ai donc réalisé des courts-métrages dans mon coin qui ont eu un certain succès et m’ont permis de continuer. Puis j’ai décidé d’arrêter le court-métrage et de me consacrer à la photo afin d’obtenir exactement ce que j’avais en tête et montrer ma vision du monde. Du coup j’ai acheté le reflex le moins cher du marché et j’ai pris les gens en photo dans le métro. J’ai posté mes clichés sur Facebook et ça a fait le buzz.

Comment t’es venu le projet photographique Les Couples imaginaires ?

En 2011 j’ai décidé d’écrire un roman, c’était au début des débats sur le « mariage pour tous ». J’entendais des choses horribles qui me perturbaient, je n’arrivais plus à écrire. Je m’imaginais surtout en train de répondre aux journalistes conciliants ou aux hommes et femmes politiques qui manifestaient une certaine homophobie décomplexée. Je passais beaucoup de temps sur Internet à lire les débats et je me suis aperçu qu’il n’y avait aucune vision de l’homosexualité ou de la famille homoparentale qui ne soit pas caricaturale.

Avec Les Couples imaginaires j’ai voulu faire des photos montrant des homos exactement comme des hétéros, des familles homos exactement comme les autres. C’est donc un projet complètement irréfléchi, il fallait que ce soit fait. J’avais besoin de voir des gens que j’aimais défendre les causes qui me semblaient justes. Je ne connaissais pas ces célébrités, j’ai passé un an à les attendre à la sortie des théâtres, des émissions de télé, des avant-premières ou des concerts. Je savais que je n’avais que trente secondes pour les convaincre, mais qu’en parlant d’artiste à artiste je pouvais les toucher.

Quel a été le rôle des réseaux sociaux ?

J’avais la chance d’avoir une page Facebook assez active, les gens ont donc vite partagé les photos. Celle d’Axelle Laffont et Anne Marivin, par exemple, a été partagée par 42 000 personnes et vue par 8 millions de personnes en deux jours. Chaque photo a été vue par presque 10 millions de personnes.

Comment as-tu réagi quand tu as vu l’engouement provoqué par tes photos ?

Au début j’ai pris des photos de moi et de Guillaume (Ndlr : son compagnon) avec un bébé et il s’est passé un truc. Ça a beaucoup plu et je me suis dit : « si moi qui suis inconnu j’arrive à convaincre de cette façon, ça serait super que ce soit des célébrités qui posent ». Avec uniquement des photos je changeais les mentalités. Quand tu arrives à changer les mentalités avec l’art, c’est impossible de revenir en arrière. Quand j’ai vu l’ampleur que ça prenait, j’ai eu envie d’en faire une expo et je me suis associé avec Aides et SOS Homophobie.

Photographie : (c) Olivier Ciappa.

Photographie : (c) Olivier Ciappa.

Exposer Les Couples imaginaires dans la rue, sur une place, aux yeux de tous, c’était quelque chose d’important pour toi ?

Je trouvais vraiment qu’il fallait investir l’espace public. Je ne voulais pas que ça soit à l’Hôtel de ville sinon ça n’aurait attiré que ceux qui connaissaient déjà le projet. Je voulais que ça atteigne tout le monde et donc que ce soit dans la rue, dans les mairies, à la Porte de Versailles, au Parc floral, au Louvre. Cette fois, place de la République, c’est plus massif. Comme je n’avais pas d’autres moyens de financement je suis passé par le crowdfunding, sans lequel tout cela n’aurait pas été possible. Ça permet de faire des projets sans devoir passer par les circuits classiques.

Comment perçois-tu l’engagement de notre génération ?

Notre génération, soit elle n’est absolument pas engagée, soit elle l’est énormément. Il y a beaucoup de gens qui sont fans de Nabilla et qui ne savent rien de ce qui se passe à côté. En revanche les jeunes se sont fortement mobilisés en 2002 quand Le Pen était au second tour des présidentielles, mais c’était un peu trop tard.

Et tu crois que c’est un peu pareil avec le « mariage pour tous » ?

J’ai vu beaucoup de jeunes très engagés prendre des directions très effrayantes avec des valeurs pro-vie, anti-divorce… Engagés en faveur de principes que, d’après moi, tu ne pouvais pas avoir quand tu as moins de 60 ans. Pour la première fois le FN attire beaucoup les jeunes alors que pour moi, leur électorat c’était les paysans et les gens du troisième âge. Je pensais qu’on était une génération très ouverte mais en fait il y a des gens hyper réacs, je trouve ça assez effrayant.

Un message que tu souhaiterais adresser aux lecteurs ?

On a une chance énorme, aujourd’hui on peut tout faire. Si on a envie d’être réalisateur on peut acheter une caméra hallucinante pour quelques centaines d’euros, même avec un iPhone on peut faire un film ! Pour apprendre à dessiner il suffit de télécharger des livres à dix euros ! On n’est plus obligés de faire des études, on n’a plus aucune limite et c’est grâce à Internet. Regardez MySpace, Norman, Cyprien… C’est à nous de réaliser nos rêves. Moi, on a toujours essayé de me décourager sur tout et si j’y arrive c’est que tout le monde peut y arriver. Le seul talent que j’ai c’est la pugnacité.

Amandine Chiron et Dimitry Dugeny.

Les Couples imaginaires, exposition d’Olivier Ciappa, à partir du 1er décembre 2013, place de la République, Paris.

Written by LA REVUE Y