Cet article est extrait du n°9 de la revue Y, téléchargeable ici.

La littérature britannique regorge de héros qui ont alimenté les fantasmes et, de façon plus générale, les émotions de beaucoup d’enfants et d’adolescents, sinon d’adultes, depuis des siècles.

Hercule Poirot incarné par David Suchet dans la série du même nom. (Photographie : (c) DR)

Hercule Poirot incarné par David Suchet dans la série du même nom.
(Photographie : (c) DR)

La caractéristique principale de ces héros est leur goût du voyage. Tous partent à la découverte de terres plus ou moins lointaines, à commencer par un sujet de la perfide Albion inventé par un Français, Jules Verne, en 1873, dans Le Tour du monde en 80 jours. Phileas Fogg, gentleman londonien, entreprend le tour du monde sur un pari avec ses collègues du Reform Club.

Pourquoi Jules Verne n’a-t-il pas décidé de faire de Phileas Fogg un héros français ? La réponse réside dans la date de l’écriture du roman, à savoir le XIXe siècle, l’ère de la révolution industrielle en Europe et particulièrement en Angleterre.

Le Royaume-Uni sous l’ère victorienne c’est un peu comme la France sous les Lumières, une période de grandes avancées. Mais là où en France nous nous en sommes tenus à la pensée et à l’humain, les Britanniques ont permis des inventions remarquables dans les domaines de la technologie, la science, l’économie, la médecine. C’est l’époque des grandes épopées coloniales aux Indes, du développement du chemin de fer et de l’instauration de la minute comme référent horaire (avec le développement de l’horlogerie fine), mais aussi de la création du canal de Suez que Phileas Fogg empruntera. En d’autres termes, le roman ne pouvait avoir  comme héros qu’un sujet de sa majesté Victoria pour accomplir un tel périple. Question d’audace anglaise.

Le héros britannique voyageur est né chez des auteurs eux-mêmes voyageurs, qui parcourent les recoins du monde et de la pensée. Ainsi Daniel Defoe publie en 1719, le premier roman moderne anglais : « La Vie et les aventures étranges et surprenantes de Robinson Crusoé de York, marin, qui vécut 28 ans sur une île déserte sur la côte de l’Amérique, près de l’embouchure du grand fleuve Orénoque, à la suite d’un naufrage où tous périrent à l’exception de lui-même, et comment il fut délivré d’une manière tout aussi étrange par des pirates. Écrit par lui-même. » Plus génériquement connu sous le titre Robinson Crusoé.

Lord Byron in Albanian dress, Thomas Phillips, 1835. (Domaine public)

Lord Byron in Albanian dress, Thomas
Phillips, 1835. (Domaine public)

Ce livre marque le début des grands romans d’aventure anglais et fait la part belle aux épopées navales d’un XVIIIe siècle marqué par la suprématie de la marine anglaise.

Dans le même ordre d’idées, le roman de Robert-Louis Stevenson, L’Ile au trésor, publié en 1883, souligne l’intérêt indéfectible des Britanniques pour les zones de non-droit, les îles vierges ou abandonnées, l’exploration du monde. Le XIXe siècle voit également la publication d’autres grands romans et poèmes liés au voyage comme ceux de Lord Byron dont les héros sont  le très bipolaire Childe Harold et le très léger Don Juan.

Dès le XXe siècle, exit les grandes découvertes, les épopées et les périples. Les Anglais sont installés dans leurs colonies et ailleurs, ils y font commerce et reproduisent des bouts de Royaume-Uni aux quatre coins de l’empire où le soleil ne se couche jamais, de Hong Kong au Caire, des Tuvalu aux Falkland.

Trois célèbres héros portent l’étendard de cette période post-victorienne : Sherlock Holmes, Miss Marple et Hercule Poirot. Tous trois détectives, tous trois très britanniques et sujets loyaux, tous trois mus par une soif de vérité… ils se retrouvent toujours dans un contexte très anglais quel que soit le coin du monde où ils voyagent.

Ainsi, Hercule Poirot, Belge d’origine mais résolument atteint par le virus du gentleman britannique, est peut-être celui qui représente le mieux cette période. Dans Le Crime de l’Orient-Express comme dans Meurtre sur le Nil, ou encore d’autres romans, le célèbre détective est dépeint dans une atmosphère de Brandy, de chapeaux melons et de tea time, donnant du « Sir » et du « Lady ».

Sherlock Holmes, qui ne fait pas travailler constamment ses « petites cellules grises », a quant à lui des prédispositions bien particulières et un sens de l’observation tout aussi aigu que les héros de Agatha Christie. D’ailleurs, Agatha Christie et Arthur Conan Doyle étaient plus ou moins rivaux, et se disputaient le titre d’ « écrivain anglais le plus populaire ».

Avec la fin de la seconde guerre mondiale et le début de la guerre froide, survient un changement de registre. L’écrivain Ian Flemming décide de publier en 1952 un roman intitulé, Espions, faites vos jeux davantage connu sous le nom Casino Royale. C’est le début du héros James Bond.

Plus célèbre dans les films que dans les livres, c’est pourtant l’un des plus grands héros de la littérature de gare et celui qui a le plus contribué à la prestigieuse image des services de renseignements britanniques, le MI6.

De façon générale, on retrouve dans les héros de la littérature britannique un certain excentrisme (les manières de Poirot, le smoking en tous lieux de James Bond, l’ironie de Sherlock Holmes…) mais aussi un attachement très fort à la mère patrie et ce regard tout insulaire sur le monde.

Pleins d’humour et de flegme, ces héros ont parcouru les siècles et les continents pour découvrir, apprendre et connaître. Cette pugnacité n’est pas née de nulle part, elle est le propre de tout sujet de Sa Majesté.

Read list :

Daniel Defoe – Robinson Crusoé

Lord Byron – Don Juan

Agatha Christie – Le Crime de l’Orient Express

Arthur Conan Doyle – Œuvres complètes

Robert Louis Stevenson – L’Ile au trésor

Written by Mathieu des Esseintes