Cet article est extrait du n°9 de la revue Y, téléchargeable ici.

(c) Susan Melkisethian/Creative Commons.

(c) Susan Melkisethian/Creative Commons.

Il était une fois, dans le monde réel, un informaticien issu de la génération Y qui vivait paisiblement (à Hawaï, payé $200 000 annuels) en travaillant vaillamment pour l’Agence de sécurité nationale (NSA) des États-Unis d’Amérique. Âgé d’à peine 29 ans, il avait les doigts de fée de ceux qui sont nés avec Internet et les réseaux sociaux. Une grande carrière lui était sans doute promise avec beaucoup d’argent à la clé. Mais l’argent ne l’intéressait pas. Son ambition était autre : devenir « whistleblower » (ceci n’est pas le nom d’une boisson énergisante mais bien le mot anglais pour « lanceur d’alerte »). Car Edward Snowden était au courant de la terrible machination qui se jouait contre les citoyens de la Terre : la disparition de la notion de vie privée, orchestrée par les services secrets américains.

« De zéro en héros, il a changé de peau… »

Le jeune Edward Snowden n’était pas un agent du FBI ou de la CIA à proprement parler, il n’avait fait que de simples (« médiocres », selon lui) études d’informatique avant de rejoindre l’armée de terre pour combattre en Irak contre les méchants terroristes. Il se voyait en héros de la nation, prêt à mourir pour sa patrie, à se battre pour protéger la veuve et l’orphelin en chevauchant un char ou une Jeep. Malheureusement le petit Snowden eut un accident qui lui brisa les deux jambes et ses rêves de Captain America. Mais Edward ne se laissa pas aller et rebondit rapidement : il fut employé par la CIA pour travailler dans la sécurité informatique. De cette manière, il eut l’occasion de voyager et de quitter sa contrée natale pour Genève où il prit en charge la sécurité du système informatique de l’antenne locale de la CIA. C’est ainsi qu’il fit la découverte de nombreux documents gardés dans le plus grand secret. Ses aventures le conduisirent à rompre avec la CIA pour rejoindre les rangs de Booz Allen Hamilton, une société sous-traitante de l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA), en tant qu’administrateur de systèmes pour le bureau d’Hawaï. Il avait désormais les clés pour s’introduire dans la forteresse de l’une des plus puissantes agences secrètes du monde, et en dérober les trésors cachés.

Durant son séjour à Genève en 2007, il comprit que la NSA collectait les données privées de nombreux individus en surveillant les communications d’à peu près n’importe qui. Mais il ne souhaitait pas à l’époque révéler quoique ce soit car il espérait que la victoire de Barack Obama aux présidentielles américaines changerait les pratiques. Mais tel ne fut pas le cas. Il en déduisit alors que le changement ne viendrait pas tout seul et qu’il était de son devoir de mener sa propre quête : faire connaître au monde les terribles secrets de la NSA.

Mais pour réussir cette quête, comme tous les héros il avait besoin d’alliés. Dans le monde réel, il existait une tribu répartie sur toute la planète dont la mission était d’informer les peuples de la Terre : les « journalistes ». Il prit contact avec l’un des plus respecté d’entre eux, qui œuvrait dans un journal anglais appelé The Guardian. Il s’appelait Glenn Greenwald. Celui-ci avait déjà travaillé sur un autre chevalier blanc, le soldat Manning, responsable des fuites de documents militaires par la société secrète Wikileaks. En décembre 2012, Snowden écrivit à Greenwald en lui demandant d’adopter un langage crypté. Quelques mois d’enquête furent nécessaires à Greenwald pour faire confiance à Snowden et, avec la réalisatrice de documentaires Laura Poitras, ils se rendirent à Hong Kong en juin 2013 pour une interview vidéo et une transmission massive de documents au Guardian. Snowden avait en effet choisi de suivre sa destinée et de se révéler au monde. Il affirmait ne pas avoir peur et préférer renoncer à son confort car il refusait de vivre dans une société où tout le monde était écouté sans raison et où les libertés individuelles étaient menacées.

Dès les premières révélations, Snowden fut traqué par les États-Unis. Il chercha alors d’autres alliés pour leur demander l’asile et contacta tous les royaumes qui prétendaient protéger la liberté d’expression et les droits de l’Homme. Mais ce fut finalement à Moscou qu’il obtint un asile temporaire… Dans le même temps, il gagna de nombreux soutiens comme celui de Michael Moore qui le considérait comme un héros. Glenn Greenwald avait quant à lui repris la quête de Snowden et collaboré avec Le Monde pour révéler les écoutes téléphoniques massives et l’espionnage américain sur le territoire français. Il devrait prochainement publier un livre sur « l’histoire Snowden » et fonder un nouveau média avec Laura Poitras, financé par le fondateur d’EBay Pierre Omidyar [1]. Il a également reçu le soutien sur Twitter de la société secrète des Anonymous qui le considère comme l’un des plus importants journalistes de ces dernières décennies. Les aventures de Greenwald ne sont pas finies, tout comme celles de Snowden qui ont sans doute encore bien des choses à nous apprendre… De son côté, le patron du Guardian a révélé lors d’une audition devant le parlement britannique avoir fait l’objet de pressions et d’intimidations de la part du gouvernement du Royaume-Uni. Une remise en question de l’indépendance de la presse et de la libre information…

(c) twitter.com.

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Big data = Big Brother ?

Nous ne pourrons pas dire à la fin de ce conte qu’ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants, les choses n’étant pas tout à fait sur le point de changer. A part la présidente du Brésil qui a annulé une visite officielle aux États-Unis, peu de grands dirigeants ont vraiment réagi. Les services américains et anglais continuent à collaborer pour espionner les Européens, qu’ils soient citoyens, entreprises ou chefs d’État. L’utilisation du programme PRISM permet en effet selon les documents officiels transmis par Snowden, d’accéder aux données hébergées par les géants Google, Facebook, Youtube, Microsoft, Skype, Apple…

Dès lors, chers lecteurs, comme j’envoie cette petite histoire par Gmail, il est fort probable que les services secrets américains aient lu cet article avant notre rédac cheffe…

Dimitry Dugeny.

Sources :

http://www.theguardian.com/world/2013/jun/06/us-tech-giants-nsa-data

http://www.theguardian.com/world/2013/jun/09/edward-snowden-nsa-whistleblower-surveillance

http://www.theguardian.com/world/2013/jun/09/nsa-whistleblower-edward-snowden-why

http://www.theguardian.com/world/video/2013/jun/09/nsa-whistleblower-edward-snowden-interview-video


[1] Oidyargroup.com « my next adventure in journalism »

 

Written by LA REVUE Y