Cet article est extrait du n°10 de la revue Y, téléchargeable ici.

Manifestation lors de la Journée des Droits des Femmes. (c) Dimitry Dugeny

Manifestation lors de la Journée des Droits des Femmes. (c) Dimitry Dugeny

Egoïstes ? Fainéants ? Dangereux ? Nos aînés ne manquent pas d’imagination pour parler de la génération Y. Comme le rappelle Christophe Nick (producteur du documentaire « Génération Quoi? ») :  « les qualificatifs que l’on met sur les jeunes sont négatifs »[1]. On se souvient notamment des émeutes des banlieues en 2005 qui ont donné une image de « voyous » à la jeunesse, ou la mobilisation contre le CPE en 2006 qui a permis à certain de déplorer « la peur du changement » et « l’immobilisme » de notre génération. Et dans le même temps, on ne cesse d’entendre un discours sur « l’apathie » des jeunes, sur la « dépolitisation », comme si les jeunes d’aujourd’hui étaient juste des petits narcissiques obsédés par leur photo de profil Facebook ou leur nombre de followers sur twitter « hashtag #Nabilaontaime » !

En gros soit on n’est pas assez engagés parce qu’on n’a pas fait Mai 68, soit on ne l’est pas comme il faudrait ! Essayons donc de dépasser quelques clichés en faisant parler les chiffres et le terrain.

Des jeunes pas si désengagés

La question de la place des jeunes dans la société obsède aujourd’hui les médias et les responsables politiques, en témoigne l’enquête « Génération quoi ? » menée par France Télévisions auprès des 18-34 ans durant l’automne 2013. Si la presse a plutôt retenu des choses qu’on savait déjà (génération frustrée…), quelques données nous permettent de tordre le cou aux idées reçues.

Ainsi, 78% des personnes interrogées considèrent que dans la vie on ne peut pas s’en sortir sans solidarité. 22% ont déjà été engagées dans une ONG ou une association humanitaire et 60% se disent prêts à le faire.

Idem pour les associations de quartier : plus d’une personne interrogée sur 3 a déjà rejoint ce type d’association tandis que 47% des répondants sont prêts à en être. Ces résultats confirment l’engouement de notre génération pour le monde associatif puisque 3 300 000 jeunes seraient bénévoles en 2013[2].

En revanche, et c’est sans doute ce qui intrigue les élites politiques, 54% des personnes interrogées ne sont pas engagées dans une organisation politique et ne souhaitent pas le faire contre 34% qui disent pourquoi pas et 12% qui ont déjà franchi le pas (dont la moitié en sont sorties…). Mais pour infos chers « vieux », à peine 0,6% des 15-29 ans étaient engagés dans un parti en 1981[3]….

On nous dit également abstentionnistes. Pas faux puisqu’en 2012, 27% des 18-24 ans et 26% des 15-34 ans ne sont pas allés voter… mais comme 28% des 35-44 ans[4] ! De là à dire qu’il y a dépolitisation, c’est sans doute oublier et mépriser le fait que l’abstention peut être un geste politique autant que le vote, témoignant de l’insatisfaction des électeurs vis-à-vis de l’offre politique.

Enfin, l’enquête « Génération Quoi ? » révèle que 61% des jeunes ayant répondu se disent prêt à participer à une révolte de grande ampleur type Mai 68…

Les bénévoles de Belleville citoyenne lors du festival Ierruption attendent les habitants. (c) Belleville citoyenne

Les bénévoles de Belleville citoyenne lors du festival Ierruption attendent les habitants. (c) Belleville citoyenne

« ce discours sur les jeunes décadents ça va, on le tenait déjà au XIXe siècle » dit Oriane, 23 ans, syndicaliste de Solidaires étudiant-e-s.

Oriane a fait le choix du syndicalisme pour s’impliquer dans la société. Solidaires étudiant-e-s, syndicat antifasciste, anticapitaliste, écologiste, laïc et antisexiste, elle l’a rejoint après les mouvements étudiants contre la réforme dite LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités ou loi sur l’autonomie des universités portées par Valérie Pécresse). Ce syndicat très politisé vise à défendre les intérêts des étudiants qui peuvent être victimes de discriminations par exemple : « là on a soutenu un étudiant transgenre », « à Lille ils se sont mobilisés pour l’accès des jeunes à la santé ». Ce qui fait dire à Oriane qu’elle a le sentiment d’être utile, comme lorsqu’elle participe avec ses amis et d’autres syndicats à l’organisation des universités alternatives à Sciences Po Paris : « on a un travail de conscientisation ». Son engagement l’a parfois amenée à faire des choix compliqués comme pour les blocages : « je suis non violente mais quand tu as une violence qui s’exerce collectivement, il faut s’organiser, et donc le blocage c’est une forme d’organisation mais en même temps de violence, j’ai eu du mal avec ça au début ».

Avant le syndicalisme, Oriane est passée par l’éducation populaire au Céméa (Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active) où elle est devenue formatrice BAFA, séduite par les pratiques éducatives de ce mouvement qui donne plus de place à l’autonomie de l’enfant : « je me disais que ça allait changer la façon dont les gens allaient appréhender l’éducation et que les enfants seraient éduqués différemment pour être capables d’être plus autonomes ».

« c’est par la parole que peut venir une certaine forme de révolution » Marin, 23 ans, bénévole de Belleville Citoyenne

Un festival d’expression populaire créé avec les habitants du quartier ? Tel est l’objet de l’association Belleville Citoyenne qui a rassemblé en juin 2013 trois mille participants de toutes les origines sociales et aux univers culturels forts différents. Une occasion selon Marin de faire tomber certaines barrières et certains clichés par la confrontation. Le XXe arrondissement de Paris est un territoire de tensions et de fractures où cohabitent des mondes différents qui peinent à se comprendre tandis que les institutions ont laissé grandir la pauvreté et le sentiment d’exclusion. Alors, une fois par an, du haut du belvédère qui domine le vieux Paris, différentes associations se regroupent pour organiser des concerts, des ateliers de théâtre, d’écriture… Pour Marin, il ne s’agit pas de changer le monde mais au moins de « créer du collectif le temps d’une journée, se retrouver  un moment et dire des choses qui nous tiennent à cœur ». Pour lui, il y a toujours une part d’égoïsme dans l’engagement, et avec des partis politiques qui ne répondent pas aux jeunes, pas étonnant que l’engagement partisan ne soit pas la priorité.

Lou et ses amis des Jeunes écologistes se lèvent tôt pour coller des affiches.  (c) Marion Beauchesne

Lou et ses amis des Jeunes écologistes se lèvent tôt pour coller des affiches. (c) Marion Beauchesne

« je suis sur une liste pour les élections municipales » Lou, 19 ans, candidate à Poitiers sur la liste « Osons Poitiers ».

19 ans et déjà candidate ! Même si Lou n’est pas en position éligible, elle est totalement engagée : « je suis avant tout engagée pour l’écologie politique et je fais tout ce que je peux pour la servir ! ». En 2012 – elle n’avait que 17 ans – frustrée de ne pas pouvoir voter, elle décide de militer chez les Jeunes écologistes de Poitiers en attendant de pouvoir se rendre aux urnes. Elle décrit son expérience militante comme une occasion de s’ouvrir l’esprit grâce aux débats auxquels elle participe et aux rencontres qu’elle fait. Même si elle ne sait pas du tout ni où ni comment elle sera dans les prochaines années, Lou considère l’engagement comme « inhérent » à elle-même et ne voit aucune raison de quitter son mouvement politique.

[1]France Inter Le téléphone sonne du 29 janvier 2014 « La génération Y »

[2]Etude menée par France Bénévolat

[3]Source Values Surveys Databank

[4]Ipsos Logica Business Consulting pour France Télévisions, Le Monde, Radio France et Le Point en 2012 « 1er tour présidentielle 2012, Comprendre le vote des Français »

Dimitry Dugeny.

Written by LA REVUE Y