Cet article est extrait du n°12 de la revue Y, téléchargeable ici.

Source : contrariwise.org.

Source : contrariwise.org.

Cet article est un peu particulier puisqu’il n’est pas question de livres cette fois, ni même de Kindle ou autres livres électroniques mais somme toute d’auteurs : nous voulons parler de tatouage.

Oui de tatouage. De peaux, d’aiguilles, d’encre, de salons où résonnent dans le bourdonnement des machines, les cris des clients torturés. Dans le monde du 10eart, comme certains le qualifient volontiers, se développe depuis un petit moment la mode du tatouage littéraire. Un phénomène qui prend de l’ampleur depuis que Miley Cyrus, Megan Fox, Johnny Depp ou encore Lady Gaga se sont fait encrer les mots d’auteurs qui les ont touchés.

Attention, nous ne parlerons pas de tatouages de textes pseudo romantiques comme « une rose pour ma mère », ou encore « je t’aime pour la vie », « à la vie, à la mort », « tendrement », ou tout autre surnom, date, code caché et private joke que l’on peut trouver ça et là, sur les littoraux en période estivale. Laissons le mauvais goût aux incultes, il s’agit pour notre affaire de s’intéresser aux tatouages de textes d’auteurs, de la petite citation à la page entière d’un roman.

Les années 1990 sont révolues et avec elles s’en sont allés les très distingués signes tribaux qui pullulaient sur les lombaires halées de jeunes espagnoles, le mulet en étendard, sur les plages de Benidorm et autres Lloret de Mar.

Sort identique pour les signes chinois qui ornaient triceps, mollets et nuques de rebelles en mal d’exotisme, résolument taquins.

Enfin, même si aujourd’hui les tatouages marins et old school se maintiennent plutôt bien et continuent d’orner une majorité de moustachus sur les bords du canal Saint-Martin, il est vrai que d’autres préfèrent le texte, le mot, le littéraire plutôt que le dessin.

Après tout, n’est-ce pas revenir un peu à l’origine du tatouage que de se faire apposer sur le corps des éléments qui ont un sens plutôt qu’une simple esthétique sans réelle signification ? Les maoris se paraient de tatouages indiquant leur statut, leur tribu. Les marins se faisaient encrer leur vécu. Et aujourd’hui ceux qui lisent Katherine Pancol sont dans cette veine du vécu s’ils arborent fièrement sur leur torse : « c’est presque mieux de vivre un amour en rêve ».

Source : 10years10cities.com.

Source : 10years10cities.com.

Outre cette plaisanterie grotesque, on trouve parmi les corps à tatouage littéraire, un grand nombre de citations shakespeariennes, comme si le roi Lear était mieux sur l’omoplate de Megan Fox.

Nietzsche tient également une bonne place et tout aussi sur le flanc de la même Megan Fox. Moins philosophique que les deux précédents, James Joyce est un incontournable du tatouage littéraire, ainsi que Rilke et Tennessee Williams, mais plus à la marge. En pagaille on peut trouver du Salinger, du Beckett, du Bukowski comme du Neruda.

D’après Mariette Julien, professeur de l’université du Québec à Montréal, « un texte fait appel au côté rationnel, tandis que les graphèmes appellent à l’émotion ». En d’autres termes la personnalité de celui qui porte des citations serait davantage dans la réalité que celui qui porte un dessin. Il est vrai que le dessin n’a pas le même poids que les mots écrits. Mais sur un corps… ?

C’est en tout cas l’avis de l’auteure Shelley Jackson, qui a décidé de publier son projet « Skin », non pas en livre, ni en numérique mais tout simplement sur des corps… de 2095 volontaires.

Dans une société de consommation qui tend à retirer les objets qui n’apportent aucune plus value sociale en terme d’image (nous avions déjà évoqué cela dans l’article sur les beaux-livres où il était question d’achat non pour lire mais pour montrer un certain niveau de culture), une telle initiative concilie définitivement les deux maux des égos de notre temps : ne pas être encombré de livres inutiles (entendez, livres de poche) et paraître intéressant. Paraître, seulement.

Written by Mathieu des Esseintes