Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le film de Nabil Ayouch a déplu aux extrémistes marocains, tant le réalisateur s’évertue à montrer des choses que ceux-ci voudraient voir cachées et tues (prostitution, homosexualité, transsexualité, corruption…).

Du premier au dernier plan, on colle aux basques de Noha, Randa, Soukaina et Hima, qui survivent en se prostituant dans un Marrakech pas des plus glamours. Les intolérants qui ont menacé Ayouche n’ont pas supporté de voir l’hypocrisie de la société marocaine dénoncée.

Si la société semble condamner les prostituées avec une grande violence, il y a toujours beaucoup de clients pour se payer leurs services, et de personnes vivant de l’économie du tourisme sexuel. Le film est universel car le traitement réservé aux prostitué(e)s est sensiblement le même dans de nombreux pays. Relégués à la marge, les travailleurs du sexe font honte et ne sont pas souvent regardés et considérés. Dans Much Loved, au contraire, ils sont aimés et regardés au plus près. Noha, Randa, Soukaina et les autres sont complexes, drôles, énervants parfois, mais toujours émouvants.

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Soukaina, Hima, Randa et Noha, les héroïnes émouvantes du film de Nabil Ayouche (© Virginie Surd)

Il y a énormément de mélancolie dans le film. Même dans les scènes de fêtes, il y a un malaise constant, une souffrance dissimulée chez Noha et ses trois comparses, qui doivent danser et jouer pour ces hommes sans tendresse qu’elles n’aiment pas. Le film est souvent très dur, la chair est souvent triste et les rapports entre hommes et femmes violents, mais la séquence qui remue le plus est peut-être celle où Noha retrouve sa famille. La jeune femme apparaît voilée et triste, méconnaissable. Le silence s’installe et on comprend tout de la solitude immense du personnage.  Il y a aussi de l’amour et de la tendresse dans ce film.

Les héroïnes et leurs amis travestis essaient de s’épauler et de s’offrir des petits moments de légèreté avant d’affronter la dureté de la nuit. Noha, Randa, Soukaina et Hima se chamaillent parfois, mais forment tout de même une belle communauté, telles de lointaines descendantes des héroïnes de La maison Tellier de Maupassant. La dernière séquence du film est magnifique, elle n’est peut-être pas réaliste mais elle est extrêmement touchante. Les jeunes femmes s’offrent une parenthèse au bord de la mer, qu’il est bien difficile de refermer. Pas besoin d’être une prostituée au Maroc, pour comprendre cette envie irrépressible parfois de suspendre le temps…

Written by Matthias Hardoy

Parle beaucoup de cinéma et un peu d'autres choses (radio, théâtre...) Franco- espagnol de nationalité, finnois de cœur et parisien depuis peu...