flash fiction revue Y

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Dans cette nouvelle flash-fiction, rien n’est tout à fait vrai mais rien n’est tout à fait faux. Parfois c’est drôle, souvent c’est tragique. Laissez-vous tenter par une micro-nouvelle inspirée du monde réel, et répondez à la question : pourquoi a-t-on plus de peine pour Tyrion Lannister que pour un peuple en guerre ?

Cyber prédateur : la micro-nouvelle qui vous traquera jusque dans votre lit…

Sitôt le signal de fin de repas donné, Apolline se jeta dans l’escalier. Elle ignora les injonctions parentales à « débarrasser »,  » passer un moment en famille » et « parler des cours », pour s’enfermer dans sa chambre : ce soir elle avait rendez-vous.

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Paul tournait au milieu du salon. L’heure du rendez-vous approchait, il se sentait impatient et juvénile. Depuis combien de temps cela ne lui était-il pas arrivé ? Ce matin, pour la première fois depuis une bonne décennie, il avait même eu une érection tout seul, sans l’aide de ses satanées pilules qui lui donnait l’impression qu’avoir une relation sexuelle était un acte médical.

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Un frisson lui parcourut le corps à mesure que la voix de Justin Bieber résonnait dans ses écouteurs. Confortablement avachie selon un angle de 127°, tablette sur les genoux, elle lança Facebook. Pas de contact en ligne pour l’instant. Les yeux perdus dans le vague, elle repensa à ses parents et à leur dernier sermon pas plus vieux qu’hier sur les dangers d’Internet. Elle les trouvait pathétiques avec leur phrase choc « n’importe qui peut se faire passer pour n’importe qui ». C’est tellement prévisible et trouillard un vieux. S’ils savaient…

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Paul posa avec délicatesse un CD de Wagner dans le compartiment adéquat et s’assit sur son fauteuil de bureau. Pendant que son vieil ordinateur moulinait, une brève pensée pour sa femme qui dormait à côté lui traversa l’esprit. Il la chassa pour se consacrer entièrement à Apolline. Il la trouvait tellement belle. C’était si facile de nos jours, il n’y avait même plus besoin de sortir de chez soi.

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Apolline avait choisi la photo avec soin. En experte des selfies qu’elle était, elle savait qu’il était important de se montrer sous son meilleur jour. Elle avait cherché celle qui lui plairait le plus, ça n’avait pas été difficile. Soudain le petit bip sonore de Facebook lui indiqua que Paul venait de se connecter.

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Il fut soulagé qu’elle soit là. C’était tellement éphémère les relations Internet. Si elle lui faisait faux bond, il ne savait pas s’il aurait le courage de repartir en chasse. Il s’empressa d’engager la conversation.

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Apolline bouillait d’impatience.

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Paul hésita, les doigts en arrêt sur le clavier. Est-ce qu’il était temps ? Puis il se décida : « Je veux te voir. »

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Un petit sourire étira les lèvres de l’adolescente. « Enfin ! » Elle ne le fit pas attendre : « Moi aussi j’en ai très envie. Tu connais un endroit ? »

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« Oui. »

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Apolline jeta son sac un étage plus bas et entreprit d’enjamber le balcon.

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Le sexagénaire déplaça quelques livres et attrapa la boîte de préservatifs cachée derrière. Il en glissa un dans son portefeuille puis, à la réflexion, il en ajouta un deuxième, on ne savait jamais…

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La chambre d’hôtel était plongée dans la pénombre.

SMS 1 : Déshabille-toi…

SMS 2 : Tu ne veux pas que l’on se voie ? Qu’on parle un peu ?

SMS 3 : STP mon chou, je suis un peu timide.

SMS 4 : Entièrement tu veux, j’aimerais te contempler.

Le petit filament bleu d’un taser brilla dans le noir accompagné du « tacatac » caractéristique. Puis Apolline alluma la lumière, téléphone en main :

– Salut Papy, ça pendouille à tous les étages on dirait !

Paul se couvrit les parties génitales et bafouilla :

– Mais enfin qui êtes-vous ? Où est Apolline ?

– Enlève tes mains Paul, le monde veut te voir tel que t’es : un vieux porc qui se tape des lycéennes !

– C’est toi Apolline !!! Mais je ne comprends pas. C’est une effroyable méprise. La femme avec qui je correspond a 65 ans. J’ai reçu une photo, elle a les cheveux blancs !

D’un mouvement vif, la jeune fille détendit le bras et colla le taser sur l’aine de sa victime. L’onde électrique se propagea et le vieil homme se retrouva au sol, un filet d’urine lui coulant le long de la cuisse. Il se mit à sangloter :

– Je ne savais pas, je le jure, je ne savais pas que vous étiez jeune.

– Je le sais bien, bolosse. C’était fait exprès. Parce que tu vois les gens qui vont liker sur Snapchat, eux, ne le sauront pas. Et puis t’es quand même un porc, t’as une femme non ? Elle fait quoi en ce moment ? Elle t’attend ? Elle repasse tes chemises de pervers ? Elle est au courant ? Ça se trouve ça la fait kiffer d’imaginer ton gros cul tout flasque s’activer sur la dernière cochonne version troisième âge que tu te dégotes.

– Je vous interdis de parler de ma femme comme ça ! Elle est malade, c’est juste trop difficile de la voir…

– Ta gueule, j’en ai rien à foutre de ta vie de minable ! Allez maintenant on va jouer. Tu vas te mettre à quatre pattes et tu vas faire le chien. Oublie pas d’aboyer et de bien regarder la caméra pour qu’on voie bien ton visage.

– Pourquoi vous faites ça ?

– Parce que c’est fun. Allez, pense à ta femme. Ça lui ferait sûrement pas du bien de savoir que tu t’envoies en l’air dans un hôtel miteux avec une fille qui pourrait être ton arrière petite-fille.

Paul la regarda longuement mais ne vit aucune mansuétude dans ses yeux verts. Alors lentement, il posa ses paumes au sol et poussa un jappement plaintif.

Pour voir la vraie actu, c’est par ici.

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Written by Léna