Cet article est extrait du n°8 de la revue Y, téléchargeable ici.

Créer sa boîte, se lancer dans la musique ou monter un projet humanitaire est rarement une partie de plaisir quand on n’a ni le réseau ni l’argent nécessaires. Mais grâce au financement participatif (ou crowdfunding), fini les lettres sans réponse envoyées aux boîtes de production. Il est maintenant possible de contourner les canaux classiques de financement en mettant en lien artistes, créateurs, porteurs de projets en tous genres et particuliers souhaitant soutenir la créativité.

Photographie : (c) Rocío Lara.

Photographie : (c) Rocío Lara.

Une montée en puissance récente

Le financement participatif ne date pas d’hier : déjà en 1958 John Cassavetes avait lancé un appel au public pour financer son film Shadow. Idem pour la construction de la statue de la Liberté.

La grande innovation c’est bien sûr Internet et les réseaux sociaux qui permettent de démultiplier les contacts à travers le monde entier en mobilisant une communauté répartie en quatre cercles : le cercle des proches (celui de la famille, des amis, des collègues…), celui des amis d’amis et des relais d’influence, celui des fans et de ceux qui partagent votre passion et enfin celui des blogs et des médias.

En 2005, la plateforme américaine de prêt solidaire Kiva est créée. Elle met en contact des internautes avec des organismes de microcrédit : les particuliers deviennent des prêteurs au service de micro-projets de développement économique. En 2006 c’est la plateforme germano-hollandaise SellaBand qui permet à de jeunes groupes non seulement de se faire connaître mais également de lever des fonds pour enregistrer un album. Puis viendront les plus célèbres comme My Major Company en 2007 et Kickstarter en 2009. En 2012 on dénombrait près de 800 sites communautaires pour un marché de plus de 2 milliards de dollars et 1 million de projets financés.

Des formes plurielles

Dans cette multitude de plateformes, on constate des modes de fonctionnement très variés :

  • le don simple, utilisé principalement pour des projets solidaires et portés essentiellement par des ONG. L’américaine Razoo ou la française United Donations fonctionnent sur ce mode.
  • le don avec contreparties est sans doute le plus connu des métiers du crowdfunding. Il s’agit pour les créateurs de projets de faire appel à des dons en motivant les donateurs par des récompenses. Kickstarter, KissKissBankBank et Ulule sont leaders dans ce domaine.
  • le prêt solidaire permet à des particuliers d’accorder des prêts sans taux d’intérêt à d’autres particuliers. Pour Arnaud Possonnier, président-fondateur de Babyloan, c’est « une innovation dans le travail humanitaire qui permet de ne pas être uniquement dans l’assistance ou la charité, qui sollicitent déjà beaucoup les gens à travers le street fundraising (le recrutement de donateurs dans la rue) ».
  • le prêt rémunéré concerne les prêts de particulier à particulier avec taux d’intérêt. Il permet à des entrepreneurs de réaliser des investissements. Les français Hellomerci et Prêt d’Union possèdent l’agrément d’établissements de crédit les autorisant à exercer.
  • l’equity based ou investissement contre prise de participation et la contribution avec contreparties numéraires constituent la cinquième forme de crowdfunding. Les particuliers reçoivent des contreparties en échange de leur soutien. Sur Sellaband ou My Major Company, ils deviennent coproducteurs des œuvres et touchent des royalties associées au projet.

La plupart des plateformes de crowdfunding prennent une part sur les fonds levés qui va de 3% à 10% afin de rémunérer les équipes qui accompagnent les porteurs de projets, les aidant à assurer leur communication, à motiver leurs cercles. Ces projets font la plupart du temps l’objet d’une sélection pour ne pas donner de faux espoirs. Mais la majeure partie de ceux qui passent l’épreuve du dépôt de dossier obtiennent un financement. Celui-ci n’est généralement pas très élevé (pas plus de 5 000 euros en moyenne) et porte sur des projets audiovisuels, d’intérêt général ou d’entreprise pour la plupart. Enfin, la majorité des plateformes fonctionnent sur le modèle du « tout ou rien » : si la totalité de la somme n’est pas atteinte, les donateurs récupèrent leur argent, une méthode parfois critiquée par certains porteurs de projets mais qui est justifiée par le principe de confiance mutuelle. En effet, à quoi va servir l’argent donné si le créateur n’a pas suffisamment récolté pour mener à bien son projet ?

Une économie du partage

Emmanuel a ainsi réussi à collecter 7 500 euros en 45 jours pour financer son documentaire sur des entreprises récupérées par des travailleurs en Argentine. En échange des dons effectués sur Ulule, ses financeurs (151 donateurs au total) ont reçu des contreparties : copie du DVD du film, tirages photographiques du tournage, clip d’animation personnalisé, un ballon de l’une des coopératives filmées… « J’ai été très touché par la réactivité des contributeurs. Je n’aurais jamais cru que cela marcherait aussi bien » m’a confié Emmanuel en soulignant l’indépendance par rapport aux financements professionnels que ce système lui a permis d’avoir. (1)

Évelie, une jeune créatrice de bijoux a eu recours au financement participatif pour réaliser sa vidéo professionnelle pour une exposition au Louvre. Elle a récolté 1 500 euros avec 40 bankers : « il y avait des gens dont je ne connaissais pas l’identité, en Australie par exemple, qui m’ont donné parce que je pense qu’ils ont apprécié ce que je faisais. J’étais étonnée ! »(2)

Pour Olivier Ciappa (voir rubrique Portrayt), le crowdfunding a permis de réaliser son exposition « Les couples imaginaires » en mobilisant les fans de sa page Facebook.(3)

Créer du lien, de l’autonomie et libérer la créativité

« L’idée, c’était de donner un outil à tous les créatifs du monde qui en avaient marre d’écouter Pascal Obispo », selon Vincent Ricordeau, fondateur de KissKissBankBank et auteur d’un ouvrage sur le crowdfunding. (4)

Pour Mathieu Maire du Poset, directeur projets et communication chez Ulule, « la génération Y prend très bien cet outil en main pour aller créer son propre site web, son propre journal, lancer son propre disque ou film. On voit beaucoup de jeunes qui plutôt que d’attendre de trouver un boulot, vont se prendre en main. Cela crée de l’autonomie et permet de franchir des étapes. » Selon lui, il s’agit d’un complément de financement ou d’un tremplin, donc d’un système parmi d’autres plutôt que d’une révolution, car comme le souligne également Emmanuel, il est difficile de soulever de grosses sommes. C’est donc avant tout un moyen de libérer la créativité : selon Vincent Ricordeau, « on est une machine à créer de la confiance en soi ».

Dimitry Dugeny.

(1) Le projet d’Emmanuel présenté sur Ulule : http://fr.ulule.com/entreprises-recuperees/

(2) Le projet d’Évelie présenté sur Sponsume : http://www.sponsume.com/project/%C3%A9velie-mouila-jewellery-les-arts-decoratifs-museum

(3) Le projet d’Olivier Ciappa présenté sur Ulule : http://fr.ulule.com/couples-imaginaires/

(4) Vincent RICORDEAU, Crowdfunding : Le financement participatif bouscule l’économie. FYP EDITIONS, 2013.

Written by LA REVUE Y