Cet article est extrait du n°8 de la revue Y, téléchargeable ici.

Dans la Bible déjà, l’homme a voulu atteindre le ciel en construisant une tour, la tour de Babel. Projet démesuré et vaniteux, il est mis en échec par Dieu… Malgré cela, l’Homme s’obstine à construire toujours plus haut : la tour a ainsi trouvé ses ancrages dès l’Antiquité pour la défense ou pour l’observation (pour ceux qui ne me croient pas, lisez les albums d’Astérix, CQFD). Depuis le XIXe siècle, d’autres fonctions lui ont été attribuées telles qu’abriter des logements ou des activités, et la « tour » est devenue « gratte-ciel ».

Photographie : (c) mattbuck.

Photographie : (c) mattbuck.

Le gratte-ciel, une solution économique pour construire la ville

Le gratte-ciel, cette tour de grande hauteur telle qu’on la connaît actuellement, est né aux États-Unis à la fin du XIXe siècle. Face au grand incendie de Chicago, il a fallu construire haut, vite, peu cher et beaucoup. En édifiant des constructions plus hautes que larges, il était dès lors plus facile de réduire les coûts d’achat d’un foncier qui devenait de plus en plus cher tout en maximisant le nombre de locaux créés. Les architectes de ces tours, qu’on nomme aujourd’hui ceux de « l’école de Chicago », ont employé d’emblée l’acier pour minimiser les risques d’incendie et rendre la construction plus légère, les murs n’étant pas porteurs. Les fondements du gratte-ciel étaient alors posés et ont influencé la majorité des villes américaines du XXe siècle.

Dès les années 1880, New York voit ainsi pousser rapidement ses premiers buildings, mouvement qui se poursuit jusqu’aux années 1930, avec la construction de l’Empire State Building, le plus haut gratte-ciel de l’époque qui atteignait 381m. Les skyscrapers sont alors des spécificités uniquement américaines. Si les constructions se sont essoufflées pendant la crise économique et la seconde guerre mondiale, elles reprennent de plus belle dans les années 1960. Mies van der Rohe, l’un des plus célèbres architectes de la première moitié du XXe siècle dont la devise était « less is more », a construit le premier gratte-ciel tout de verre et d’acier à Chicago (le Lake Shore Drive) : ces doubles tours au design orthogonal et aux murs rideaux (des murs qui ferment le bâtiment sans participer à sa portance) ont servi de modèle au mouvement international qui a suivi.

Photographie : (c) Demiannnn, 2007.

Photographie : (c) Demiannnn, 2007.

La tour comme symbole identitaire

Depuis lors, on ne compte plus le nombre de métropoles, tant aux États-Unis que partout dans le monde, qui disposent d’un quartier de tours. Autrefois considéré pour son côté pratique, le gratte-ciel devient depuis une dizaine d’années un symbole identitaire pour les villes qui en sont dotées et chacune essaie de se démarquer en rivalisant de la tour la plus haute ou la plus originale. La construction de tours apporte en effet une haute valeur ajoutée, en plus de procurer une image singulière à la ville.

La tour la plus haute du monde actuellement est la tour Burj Khalifa à Dubaï (830 m)… Oui, mais ! Construite en 2010, celle-ci commence à se faire rattraper par des petites jeunes. En 2019, une tour d’1 km de haut devrait émerger en Arabie Saoudite, construite par le même architecte que la Burj Khalifa, Adam Smith.

À La Mecque, la deuxième tour la plus haute du monde s’y situe justement, la Abraj Al Bait Towers. Nouveau Big Ben, ce gratte-ciel de 601 m de hauteur permet de lire l’heure jusqu’à 17 km de distance.

Dans le dernier numéro de Y, nous abordions la tour One World Trade Center de New York, mesurant 541 m. Celle-ci se place en 4ème position des tours les plus hautes mais représente surtout un symbole très fort de renouveau et de mémoire.

Shanghai se caractérise en partie par deux tours « phares » : The Oriental Pearl Tower, tour fusée, qui contient tout de même un roller-coaster en son sein… et Shanghai World Financial Center, censée évoquer la puissance de la Chine mais surnommée poétiquement là aussi… le « décapsuleur » !

Londres l’excentrique se démarque aussi par ses tours : si elles ne sont pas très hautes, elles sont remarquables car éparpillées dans le centre de la ville. La tour The Gherkin, joliment surnommée « le cornichon » est aujourd’hui l’un des symboles de la ville, au même titre que Big Ben (une autre tour, comme quoi !). Plus récemment, la capitale anglaise a aussi fait parler d’elle : une tour en construction, nommée Talkie Walkie, ferait fondre les voitures ! À cause de sa courbure et de sa façade vitrée, elle créerait un effet loupe en été et aurait déjà fait fondre une Jaguar garée non loin de là et mis le feu au paillasson d’un commerçant…

En Corée du Sud, l’originalité prend le pas également sur la hauteur. Puisque les Coréens veulent faire disparaître leur nouveau symbole en créant… la tour invisible ! La tour, de 450 m de haut, pourra en effet s’éclipser grâce à un système de caméra filmant l’environnement qui sera reproduit sur la façade par un jeu de LED. Il est inutile de préciser que la tour se construit à proximité immédiate d’un aéroport et que… bon…

Et à Paris alors ? Eh bien si notre tour Eiffel nationale est sûrement la plus connue des tours, elle ne peut pas être considérée comme un gratte-ciel. Hormis son quartier d’affaires de la Défense, la capitale est en plein débat sur la construction possible ou non de gratte-ciel dans la ville intra-muros à l’heure du développement durable. Aujourd’hui, la question reste entière car cela risquerait d’affecter le visage haussmannien de la capitale, ce pour quoi l’Unesco a posé son veto le 3 octobre 2013 via son sous-directeur général pour la Culture, Francesco Bandarin. Selon lui, « Paris est l’une des rares villes horizontales préservées. Une tour, parce qu’elle a besoin de beaucoup de services, de parkings, n’est pas plus dense qu’une ville compacte. Une tour c’est quand même une machine qui consomme beaucoup d’énergie – les ascenseurs, l’eau que l’on pompe : vous ouvrez un robinet au 180e étage et l’eau doit être pompée. Ce n’est pas un bon modèle. Ce n’est pas le futur ».

Amélie Rousseau.

Written by larevuey