Cet article est extrait du n°9 de la revue Y, téléchargeable ici.

Il y a une dizaine d’années de ça, alors que je vivais paisiblement ma vie de collégienne boutonneuse, ma tante m’a offert un cadeau qui allait bouleverser ma vie et celles de millions d’enfants et d’adolescents à travers le monde. Et pourtant, j’ai failli ne jamais l’ouvrir, ce coffret Gallimard Poche qui regroupait les trois premiers tomes d’Harry Potter. J’ai même naïvement cru que je n’allais pas tomber dans le panneau. Peine perdue, dès l’instant où j’ai fait la connaissance de ce maigrichon à cicatrice enfermé dans son placard sous l’escalier, j’ai quitté la terre moldue à bord d’un balai volant. Retour sur LE phénomène littéraire d’une génération… enchantée.

(c) Warner Bros Studios.

(c) Warner Bros Studios.

Une success story inattendue

Dans les années 1990, une mère célibataire, aujourd’hui milliardaire, profite du retard de son train pour inventer l’histoire d’un jeune sorcier aux prises avec les forces du Mal. Et la légende fut. J.K. Rowling, plus exactement. En plein boom des nouvelles technologies, l’écrivaine va relever le défi inimaginable de nous faire lâcher la télévision et les Tamagotchi pour nous faire traverser le quai 9 ¾, chouette et baguette magique à la main, direction Poudlard.

(c) Germán Póo-Caamaño.

(c) Germán Póo-Caamaño.

The Boy Who Lived

L’essence même de son succès réside sans doute dans la création de l’anti-héros Harry Potter. Patronyme et physique banals (hormis une cicatrice en forme d’éclair), le jeune orphelin, sans le vouloir, se retrouve flanqué d’une réputation de sauveur de l’humanité – alors que tout ce qu’il voudrait finalement, c’est traîner chez Hagrid avec ses amis Ron et Hermione. Vous vous reconnaissez ? Oui bon, à part le côté « je bois une bièraubeurre tout en lançant des incantations », Harry est un personnage auquel chacun peut s’identifier. Loin d’être parfait, il en vient même à nous agacer ; susceptible, égoïste et un peu surprotégé par Dumbledore (bon, d’accord, à juste titre), il est presque l’incarnation de l’enfant-roi. Son destin hors norme va pourtant nous pousser à nous attacher à lui et à trembler à chacune de ses rencontres avec Voldemort.

and grew up

Harry Potter est également un roman d’apprentissage dont les sujets sont chers aux lecteurs, qui grandissent avec le héros ; l’intelligence de Rowling est d’avoir débuté la saga avec beaucoup de fantaisie et d’humour, lorsque Harry a 11 ans, et de l’avoir faite évoluer vers un univers plus sombre et inquiétant, comme si l’intrigue elle-même devenait peu à peu adulte, évitant ainsi l’écueil du livre « neuneu » pour enfants. Les ouvrages abordent les thèmes, plus classiques, de la mort, de l’intolérance, de l’autorité et de sa remise en question, du poids des responsabilités… Impossible pour un enfant normalement constitué de ne pas se sentir « chez lui » en dévorant les pages de ce roman. Le traducteur français des sept tomes, Jean-François Ménard, résume très bien les raisons de ce succès : « Il y a, je crois, dans Harry Potter, pour des enfants, matière à réflexion et matière à émotion c’est-à-dire que les enfants retrouvent dans les personnages de Harry Potter leurs propres émotions, ce qui est très important pour entrer, justement, dans ce monde et pour avoir le plaisir de fréquenter ceux qui sont devenus des amis [1]».

(c) Thalita Carvalho.

(c) Thalita Carvalho.

La (re)découverte de la culture britannique

La magie d’Harry Potter, c’est aussi d’avoir renvoyé au placard Brian et sa kitchen et d’avoir fait (re)découvrir aux petits Français une culture méconnue, le monde des sorciers étant calqué sur la société britannique (Ministère de la Magie, cabines de téléphones rouges servant d’entrée secrète, Magicobus de trois étages…). Plus que ça, ils lisent les ouvrages en langue anglaise, phénomène inouï qui n’a jamais connu d’équivalent dans le monde de l’édition. Tu fais moins le malin hein Brian ?

Une stratégie marketing dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom

Au risque de recevoir des Beuglantes, oui, je le dis, Harry Potter est devenu un produit commercial. Si les ventes du premier tome ont d’abord été attribuées au bouche-à-oreille, Bloomsbury (l’éditeur britannique) a très vite concocté une potion marketing reposant en grande partie sur l’évènementiel. La génération Y sera d’ailleurs la seule à en pâtir à l’époque ; les romans étant publiés en moyenne chaque année, l’attente, insupportable, ouvre la voie à des soirées thématiques destinées à cultiver le suspense des dates de publication, et à engendrer une véritable Pottermania (foule de jeunes moldus hystériques, battant le pavé des librairies pour être les premiers à finir la lecture de 700 pages dans la nuit).

Des films au parc d’attractions : les rançons de la gloire

A chaque succès littéraire ses films à gros budget (demandez à Tolkien ou Suzanne Collins). Harry Potter n’échappera pas à la règle, pour notre plus grand bonheur avouons-le, et apparaîtra pour la première fois sur grand écran avec les traits de Daniel Radcliffe. Certains spectateurs n’ayant pas eu le courage de dévorer 7 x 700 pages, les films deviendront cultes presque indépendamment des livres, grâce, entre autres, à un casting d’acteurs britanniques à l’époque inconnus pour incarner les personnages principaux (Rupert Grint, dont les mimiques ont fait rire des salles entières, et Emma Watson, devenue « it-girl » adorée des médias et des garçons). Ils sont épaulés par la crème de la profession en Grande-Bretagne pour les personnages récurrents (indétrônable Alan Rickman dans le rôle de Rogue, mais aussi Michael Gambon, Ralph Fiennes, Helena Bonham Carter, Maggie Smith… la crème de la crème je vous dis !). Les différents réalisateurs d’Harry Potter sont parvenus à recréer l’univers fantastique de Rowling, malgré quelques déceptions (de nombreuses atteintes à l’intrigue originale et un sixième opus façon « Twilight » qui me laisse encore perplexe).

Comme si cela ne suffisait pas, un parc d’attractions a ouvert ses portes près de Londres et permet aux visiteurs, pour une somme exagérée, de découvrir les décors et costumes des tournages. Pour ceux qui souhaitent effectuer un pèlerinage moins onéreux, rendez-vous à King’s Cross (voir rubrique Voyage de ce numéro) !

Vers l’infini et au-delà

Aujourd’hui, Harry Potter est ancré dans notre société et nos codes culturels ; fréquemment citée dans d’autres livres et séries, cette fiction culte a pris une nouvelle ampleur grâce à Internet et la génération 2.0. Forums, fanfictions, jeux vidéo… Harry Potter n’est pas près de prendre la poudre de cheminette, je vous le dis !


[1] Enquête sur les raisons du formidable succès de la série des Harry Potter : interview de l’auteur J.K. Rowling et du traducteur en français des aventures de l’apprenti magicien, source : FR3 (Collection: 19-20. Edition nationale) Diffusée le 16 juillet 2000. Lien : http://fresques.ina.fr/europe-des-cultures-fr/impression/fiche-media/Europe00287/le-phenomene-harry-potter

Written by Claire Faugeroux

"Y" dans l'âme, fermement décidée à prouver que sa génération a construit sa propre culture, nez collé aux écrans... ou pas !