Cet article est extrait du n°10 de la revue Y, téléchargeable ici.

L’une des grandes nouvelles qui a agité le monde du cinéma cet hiver est l’annonce du « départ à la retraite » d’Hayao Miyazaki, le maître de l’animation japonaise. Après avoir bercé l’enfance de la génération Y, il a continué de nous émerveiller avec ses dessins animés colorés et magnifiques.

Le dessinateur a décidé de tirer sa révérence avec un dernier film majestueux : Le vent se lève[1], sorti le 22 janvier dernier en France. Un beau point final[2] à une carrière bien remplie et très intéressante. Son enfance dans le Japon d’après-guerre (il est né en 1941), le travail de son père aéronaute et la maladie de sa mère tuberculeuse ont largement inspiré l’intrigue de son dernier film et plusieurs aspects de ses œuvres précédentes. Devenu animateur à 22 ans au studio Toei, il a commencé à réaliser des films à 28 ans avant de démissionner du studio. Pendant une dizaine d’années, il a navigué entre plusieurs studios d’animation en tant que scénariste, animateur ou réalisateur. C’est pendant cette période qu’il a développé plusieurs projets, dont son premier long-métrage Le Château de Cagliostro et la série Panda petit Panda (1972).

Princesse Mononoké (c) DR.

Princesse Mononoké (c) DR.

Après Nausicaä de la vallée du vent et la faillite du studio qui l’a produit, Miyazaki cherche en vain une autre structure pour produire ses nouveaux projets. En juin 1985, il fonde le studio Ghibli[3] avec Isao Takahata, son partenaire depuis la période Toei, et sont financés par l’éditeur Tokuma Shoten. Les deux hommes sont réputés très différents mais parfaitement complémentaires. Miyazaki se déclare bourreau du travail et reconnaît sa nature profonde de dessinateur et non de réalisateur, alors que Takahata se dit fainéant, ne dessine pas mais fait toujours un immense travail de recherches pour nourrir ses créations de nombreux détails. L’équipe de Nausicaä commence donc à travailler sur le Château dans le ciel, dont le succès permet à ses créateurs de poursuivre sur leur lancée. En 2006, la machine à divertissement Disney arrive à obtenir l’exploitation des films de Miyazaki à l’étranger, mais Ghibli parvient à maintenir la maîtrise de ses propres films.

Le succès international des films de ce dessinateur au milieu de centaines d’animateurs japonais, et la popularité phénoménale d’un studio longtemps artisanal sont difficiles à expliquer. Miyazaki est l’un des rares réalisateurs dont le travail est attendu et salué partout dans le monde, et particulièrement en France[4], où l’animation japonaise rencontre un succès toujours grandissant. La raison ? Certains avancent une formule particulière, qui combinerait la douceur enfantine, l’engagement écologique et l’émerveillement du fantastique. On retrouve ces thèmes comme des leitmotivs à travers toute la filmographie de Miyazaki.

Hayao Miyazaki (c) DR.

Hayao Miyazaki (c) DR.

Enfance & Famille

Les héros de Miyazaki sont souvent des enfants et des jeunes personnages, souvent féminins. Bien que les filles soient souvent montrées comme fragiles au début, elles grandissent et se renforcent au fil des aventures. Il y a un aspect féministe dans les films de Miyazaki, les femmes sont le futur, comme dans Mononoké, où l’héroïne est une guerrière puissante et indépendante. La famille est un élément important des intrigues, mais elle est aussi fragile et éphémère. Les parents, bien que protecteurs et rassurants, sont des entraves à la découverte du monde. Ils sont donc absents ou en arrière-plan de l’histoire principale pour permettre aux enfants de vivre leurs aventures sans les contraintes parentales. Les enfants vivent l’histoire en toute liberté, et souvent en duo[5].

Histoire & Folklore japonais

Miyazaki s’est beaucoup inspiré de la mythologie japonaise pour créer certains personnages et pour développer ses intrigues. Les créatures magiques foisonnent dans ses créations, cachées dans le monde des humains. Totoro vit dans la forêt, dissimulé au milieu des humains, le monde des esprits de Chihiro est invisible aux humains, le fameux château dans le ciel est masqué par d’immenses nuages, Arrietty[6] évite à tout prix de se faire repérer par les humains… Mais dans certains films, la magie cohabite aussi avec les humains : Porco Rosso est mi-homme mi- cochon et vit avec les humains, Kiki ne cache pas ses pouvoirs magiques (mais elle cache son chat parlant).

Les intrigues de Miyazaki comportent également des aspects réalistes. Porco Rosso et Le vent se lève tous les deux se déroulent dans l’entre-deux guerres, l’un dans la Méditerranée et l’autre au Japon. Bien que cela ne constitue pas l’intrigue principale, beaucoup de repères historiques sont présents dans les deux films. Le plus évident est le tremblement de terre de Kantô, qui a détruit Tokyo en 1923 et qui est représenté par d’immenses vagues terrestres dans Le vent se lève.

Mais Miyazaki ne se concentre pas sur l’histoire du Japon, il engage aussi des réflexions sur l’évolution du monde, l’industrialisation massive et son impact sur l’environnement.

Le Château dans le ciel (c) DR.

Le Château dans le ciel (c) DR.

Nature VS Technologie

Miyazaki a toujours avoué être fasciné par la technologie, et particulièrement par l’aéronautique. Ses films sont remplis d’inventions fantastiques ou réelles qui fascinent les personnages comme elles le fascinent lui-même. Mais ces inventions ne sont pas toujours inoffensives. Les avions sont aussi des machines à tuer, les usines détruisent la nature et nuisent aux créatures qui y vivent, les bombes nucléaires ont la capacité d’anéantir notre monde… Mononoké et Nausicaä sont ses films les plus engagés sur le plan écologique. Dans le premier, on assiste à une guerre entre les hommes et les forces de la Nature, qui veulent défendre leur habitat. Dans le second, le monde est ravagé depuis mille ans pas la guerre des « sept jours de feu » et les humains survivent dans l’un des derniers oasis habitables. C’est donc à la fois un message pacifiste et écologique que Miyazaki transmet aux enfants et aux adultes qui regardent ses films. L’Homme doit arriver à vivre en harmonie avec son environnement, car la confrontation est tout aussi meurtrière pour l’un que pour l’autre.

 

Filmographie (réalisateur)

Le vent se lève (2013)

Ponyo sur la falaise (2008)

Le Château ambulant (2004)

Le Voyage de Chihiro (2001)

Princesse Mononoké (1997)

Porco Rosso (1992)

Kiki la petite sorcière (1989)

Mon voisin Totoro (1988)

Le Château dans le ciel (1986)

Nausicaä de la vallée du vent (1984)

Le Château de Cagliostro (1979)

 

[1] Titre tiré d’un vers du très beau poème de Paul Valéry : « Le Vent se lève… Il faut tenter de vivre ! » (Le cimetière marin)

[2] Est-ce vraiment un point final ? Miyazaki a tout de même reconnu : « Tant que je pourrai conduire ma 2 CV, je viendrai tous les jours aux studios. La différence, c’est que j’arrive un quart d’heure plus tard le matin et que je repars une demi-heure plus tôt. » Alors même s’il ne réalisera plus de longs-métrages, il veut utiliser ses compétences pour un manga, des courts-métrages et une exposition.

[3] Désigne à la fois un vent saharien et un avion utilisé par l’armée italienne dans la Seconde Guerre Mondiale

[4] Le Voyage de Chihiro, le Château ambulant et Ponyo sur la falaise ont réalisé chacun plus d’un million d’entrées en France.

[5] Mononoké/Ashitaka, Kiki/Jiji, Sheeta/Pazu, Sophie/Hauru…

[6] Dont Miyazaki a écrit le scénario

Lina Maret.

Written by LA REVUE Y