Cet article est extrait du n°10 de la revue Y, téléchargeable ici.

Duke Nukem 3D. (c) Benoit Gisbert-Mora.

Duke Nukem 3D. (c) Benoit Gisbert-Mora.

Pour tous les curieux, cette mystérieuse combinaison s’appelle un cheat code, ou code de triche en français. Autrement dit, une suite aléatoire de touches permettant une modification des caractéristiques du jeu. Vous l’aurez compris, notre sujet du mois s’intéresse à… la triche !

Même si la triche fait partie intégrante de la quasi-totalité des jeux vidéo depuis leur apparition, les joueurs les plus conservateurs se sont toujours obstinés à faire culpabiliser les tricheurs et à rendre ce phénomène pervers et synonyme de gâchis. Que nenni. La triche fait partie du jeu, et je dirais même que sans triche, beaucoup de jeux n’auraient pas la même valeur.

La triche originelle

Au départ, la triche n’était pas franchement prévue pour le confort du joueur. Au cours du développement d’un jeu (entendez sa « fabrication »), comme Super Mario Bros., sorti en 1985 aux Etats-Unis et au Japon, il était impossible, du fait de l’absence de système de sauvegarde, de laisser les testeurs du jeu mourir à l’avant-dernier niveau et devoir tout recommencer des dizaines de fois pour s’assurer qu’un bug dévastateur n’était pas planqué quelque part. Les développeurs ont donc à l’époque créé des raccourcis, appelés « warp zones », ou zones de distorsion : il suffisait d’emprunter ces passages secrets pour arriver directement dans les 2e, 3e et 4e mondes plus facilement.

Lors de la commercialisation du jeu, les warp zones ont été conservées telles quelles, et évidemment, les joueurs les plus aguerris sont tombés dessus et en ont profité. La première forme de triche est alors née. Mais le système n’évitait pas pour autant le drame provoqué par une coupure de courant… C’est la raison pour laquelle sont apparus les codes de niveaux, sortes de sésames permettant au joueur, une fois un niveau terminé, de découvrir une combinaison de touches lui accordant l’accès direct au niveau suivant, même lors d’une nouvelle partie.

La pirouette apparaît pour la première fois dans Flashback : The Quest For Identity, sorti en 1992 sur console Amiga. Au milieu des années 1990, les premières vraies sauvegardes apparaissent, notamment grâce aux disquettes sur PC qui permettent de stocker des données et de reprendre sa partie là où on l’avait laissée…

La triche n’a depuis cessé d’évoluer, n’épargnant que peu de titres, rejoignant parfois l’essence même du jeu… dans le sens positif du terme.

Max Payne. (c) Rockstar Games.

Max Payne. (c) Rockstar Games.

La triche de l’expert

“Un soir d’hiver dans un hangar de stockage glauque, Max entend des voix à travers une porte, prend une grande respiration et s’élance…”

Ca vous rappelle quelque chose ? On est bien dans Max Payne, sorti en 2001 sur PC. Quatre coups de feu plus tard, les quatre ennemis sont à terre. En réalité, la manœuvre aurait été assez périlleuse si notre héros, miraculeusement intact, n’avait pas pris un petit remontant juste avant… Une sorte de sablier appelé « bullet time » se remplissant au fur et à mesure permet au joueur de ralentir considérablement le temps pendant quelques secondes, et d’éliminer un grand nombre d’ennemis avec une efficacité redoutable.

Sur le papier, ça s’appelle clairement de la triche, et s’il avait fallu un code pour y accéder, de nombreux joueurs auraient crié au scandale et ne s’en seraient jamais servi. Pourtant, dans l’histoire du jeu vidéo, rarement tricher n’aura été aussi beau, et on peine à imaginer la série Max Payne sans le « bullet time », ce petit plus devenu l’une des marques de fabrique de la série. La triche devient alors belle, artistique, et synonyme de maîtrise totale du jeu et de son environnement.

Autre contexte, la série Forza Motorsport (Xbox 360) a récemment intégré dans ses titres une nouvelle forme de triche, cette fois-ci beaucoup moins glorieuse… Le flashback, ou retour en arrière, qui permet au joueur, en cas d’accrochage ou de sortie de route, de revenir quelques secondes en arrière histoire de rectifier sa trajectoire et réussir son parcours. En gros, une sorte de « God mode », où le joueur fait ce que bon lui semble, anéantissant tout suspense, et surtout toute gloire de la victoire. En effet, difficile d’être heureux d’avoir gagné un championnat du monde en ayant utilisé une trentaine de fois par course le retour en arrière… car oui, pour enfoncer le clou, le jeu en permet une utilisation illimitée !

Comme quoi, la triche in game ne révèle pas toujours la qualité d’un jeu, bien au contraire. Elle triche sert parfois des intérêts bien plus éloignés de l’esprit d’un jeu vidéo, quitte à complètement le gâcher.

La triche du loser

Duke Nukem 3D, développé par 3D Realms, est sorti en 1996 sur PC. Ce titre a certainement été l’épisode le plus réussi et le plus apprécié de la série. Pourtant, la version commerciale a été livrée à l’époque avec une quantité de cheat codes destinés aux développeurs, permettant par exemple d’être invincible, invisible, ou d’obtenir toutes les armes. Il y avait déjà de quoi gâcher le plaisir. Mais les cheats permettaient également de traverser les murs, de supprimer tous les ennemis, ou de choisir à n’importe quel moment le niveau de jeu. On est très loin des innocentes warp zones des premiers Super Mario, non ?

Prévus pour les phases de test, ces codes ont été largement utilisés par certains joueurs en manque de puissance, ou ayant tout simplement envie de profiter du jeu d’une manière différente. Pour aller plus loin, ces derniers pouvaient même se procurer au tabac du coin des « bibles de tips », sortes de récapitulatifs de tous les codes existants pour tous les jeux sortis depuis des années. De quoi passer plus de temps devant son bouquin que sur sa console, un scandale !

Non, soyons honnêtes, la triche en mode solo est un peu ridicule mais inoffensive. C’est lorsque ces petits trafiquants de lignes de codes atteignent les jeux accessibles en multijoueurs que l’ambiance n’est plus la même…

Véritable icône du jeu en réseau, la licence Call of Duty est l’une des plus grosses victimes de la triche. Certains joueurs n’hésitent pas une seule seconde à bidouiller le jeu pour s’offrir des déplacements ultrarapides ou des munitions aux dégâts décuplés pour anéantir la concurrence… et booster leurs scores. Pour lutter contre ce phénomène, les hébergeurs ont par exemple commencé à détecter les tricheurs et à piéger leur code CD pour les bannir des réseaux, afin qu’ils n’aient plus qu’à racheter le jeu pour pouvoir jouer de nouveau en ligne. Pas très glorieux tout ça…

GTA. (c) Emmag213.

GTA. (c) Emmag213.

La triche de fin

Il arrive fréquemment que, dans certains jeux, des bonus de fin soient créés par les développeurs pour « récompenser » les joueurs. Des espèces de trophées sont distribués, sous forme de cheat codes ou autres, histoire de finir l’expérience sur une touche forcément positive.

Et en matière de trophées, Resident Evil 2, sorti en 1999 sur PC et consoles, a fait plutôt fort. Le joueur se voyait recevoir, s’il terminait le jeu en moins de 2h30, une arme destructrice avec munitions illimitées, histoire de refaire le jeu en mode bourrin, après avoir subi un régime drastique de munitions face à des centaines de zombies peu commodes. Et surtout, pour l’avoir tenté, après plusieurs jours de galère pour parvenir à clôturer le titre dans le temps imparti !

Dans un tout autre style, bien plus délirant cette fois, il était possible dans GTA San Andreas, sorti en 2004 sur consoles, de carrément modifier la structure du jeu pour y intégrer de nouvelles voitures, motos ou avions créés par des joueurs, souvent copiés de la réalité.

Et si cet exemple apparaît dans notre paragraphe « triche de fin », c’est parce qu’il valait mieux attendre d’avoir fini le jeu pour se lancer dans un tel chantier, tant les risques de plantage interne du jeu étaient importants. En effet, il fallait passer par un petit logiciel appelé IMG Tool 2.0, qui pénétrait les lignes de codes du jeu pour pouvoir faire un peu tout ce qu’on veut, comme modifier la maniabilité des véhicules, en installer de nouveaux, ou carrément installer des « mods », modifiant – comme leur nom l’indique – complètement le jeu. On pouvait par exemple inclure de la neige, des zombies, changer la texture des océans et bien d’autres choses farfelues…

Au-delà de l’idée de triche, cette liberté totale a permis à de nombreux joueurs de développer leurs compétences de programmation sur un jeu réel, et de faire ainsi profiter toute la communauté de leurs efforts. Que demander de plus ?

Vous l’aurez compris, la triche est à la fois un mal et bien pour le monde du jeu vidéo. Elle est tantôt une agression des autres joueurs dans les modes multijoueurs, tantôt une aide précieuse pour les développeurs, une récompense ultime ou un cruel gâchis.

Quoiqu’il en soit, le joueur est toujours libre de décider de tricher ou pas. Car même si l’acte peut paraître peu glorifiant, il est davantage là pour permettre au joueur de se défouler et… de jouer. Et oui, il s’agit bien d’un jeu, après tout !

Ah et au fait, pour les curieux, la combinaison au début de l’article n’est autre que le code permettant d’activer le mode ivrogne dans Gran Theft Auto V, sorti en 2013 sur consoles. Allez, à vos manettes !

Benoît Gisbert-Mora.

Written by Benoit Gisbert-Mora