Cet article est extrait du n°11 de la revue Y, téléchargeable ici.

Attention à ne pas confondre comic book et graphic novel ! Même si la différence n’est pas toujours clairement définie pour certains, les puristes préfèrent des dénominations exactes. Un comic book, l’équivalent américain de la bande dessinée, est un magazine qui publie des épisodes d’histoires développées. Ce genre est surtout connu pour les histoires de super-héros, dont les principaux éditeurs sont Marvel(1) et DC Comics(2). Les graphic novels présentent aussi souvent des super-héros, parfois les mêmes que dans les comic books(3), ce qui peut porter à confusion. Mais les « romans graphiques », comme leur nom l’indique, sont condensés en quelques tomes et s’adressent généralement à un lectorat adulte. Ils ont été pensés pour mieux vendre la bande dessinée en librairie généraliste et éviter la connotation enfantine des comics. La trame de ces romans graphiques ainsi que leur esthétique particulière en ont rapidement fait des matériaux d’adaptation cinématographique prisés et populaires.

Persepolis

Persepolis.

Commençons par une singularité dans le monde de la bande dessinée, avec Marjane Satrapi, une femme devenue célèbre dans ce milieu très masculin(4). Son roman graphique autobiographique Persepolis(2000-2003) a eu un très grand succès, et son adaptation au cinéma a même remporté le Prix du Jury à Cannes en 2007. Le film d’animation a été dessiné par Satrapi elle-même, ce qui lui a permis de conserver son style à l’écran et de faire du film son objet propre, plutôt que de le laisser se transformer à travers l’interprétation d’une autre personne. Il garde ainsi pleinement son esthétique originelle et, plutôt qu’une adaptation, devient une transposition à l’écran du roman graphique de Satrapi. Le seul défaut que l’on peut trouver à ce passage sur grand écran est que l’auteur n’a pas joué son propre personnage : c’est Chiara Mastroianni qui fait la voix de Marjane adolescente et adulte. La voix n’est plus autobiographique, elle est jouée par une actrice, ce qui provoque un éloignement du roman originel.

Dans un autre registre, il y a bien-sûr les histoires de super-héros ! Même s’il existe des romans graphiques basés sur des super-héros déjà existants, plusieurs auteurs ont développé des univers tout à fait nouveaux dans plusieurs livres incontournables. Il y a d’abord la série des Batman : Dark Knight (1986, DC Comics), qui a ramené Batman sur le devant de la scène des super-héros. Les livres vont être librement adaptés à l’écran dans Batman VS Superman de Zack Snyder, prévu pour le 27 avril 2016(5).

Film Title: Watchmen

The Watchmen.

Mais le roman graphique de super-héros qui a réellement marqué le milieu est sans doute les Watchmen (1986-87, DC Comics), écrit par Alan Moore, dessiné par Dave Gibbons et John Higgins, et adapté au grand écran en 2009 par Zack Snyder(6). Le livre est typique des graphic novels, tant par son esthétique novatrice que par son contenu très profond et philosophique. Il se déroule dans un univers différent du reste des comics, où Docteur Manhattan est le seul personnage à avoir de réels pouvoirs, qu’il tire d’un accident nucléaire. L’histoire est inspirée du contexte de la Guerre Froide et met en scène des citoyens qui se battent pour le Bien ou contre le Mal. Les personnages sont confrontés au déclin des super-héros et à la perte de confiance de la population. Ils ne sont plus ceux qui sauvent mais ceux qui détruisent, ils sont dangereux. Ce sentiment est traduit par la locution latine « Quis custodiet ipsos custodes? », « Who watches the Watchmen ? », qui revient régulièrement. Ce n’est que l’une des nombreuses questions philosophiques et sociales qui sont posées dans l’intrigue. Les personnages sont tous tiraillés par des émotions plus ou moins humaines : dépression, corruption, doute existentiel ou omnipotence. Il faut lire le roman graphique ou voir le film plusieurs fois pour comprendre la densité et la profondeur des questionnements exprimés, ainsi que les doubles sens et les métaphores insérées par les créateurs. L’esthétique du film est également très particulière, elle reprend beaucoup les codes de la bande dessinée et peut paraître trop artificielle ou exagérée à qui ne connaîtrait pas la source d’inspiration artistique. Mais c’est véritablement un hommage et une volonté de raccrocher l’esthétique des comics américains au grand écran pour créer un nouveau genre d’adaptation.

Cette volonté se retrouve également dans l’adaptation du roman graphique Sin City (1991-2001, Dark Horse) par Robert Rodriguez et Frank Miller, l’auteur du livre. Les couleurs principales sont le noir et le blanc dans les deux œuvres, sauf pour quelques taches de couleur pour souligner un élément du dessin – robe, sang, lèvres ou couleur des yeux par exemple. Ce choix n’est à nouveau pas forcément facile au cinéma, le film devient vite trop artificiel pour ceux qui n’adhèrent pas à la référence au dessin. On peut bien sûr se demander quel est l’intérêt de recréer presque à l’identique un graphic novel sur grand écran. Alan Moore, créateur des Watchmen et de V pour Vendetta a d’ailleurs déclaré qu’il n’avait pas développé son esthétique singulière pour la rapprocher du cinéma, mais au contraire pour prouver que la bande dessinée pouvait faire bien plus que les films(7). Il a également affirmé que ses bandes dessinées étaient faites pour être lues dans un fauteuil confortable à côté d’un bon feu de cheminée et avec une tasse de café(8). Il a refusé d’être cité au générique et s’est complètement désintéressé de l’adaptation de ses romans graphiques.

SinCity1

Sin City.

Le débat n’est bien sûr pas clos, mais il est certain que ces adaptations ont un véritable succès, aussi bien auprès des amateurs de bandes dessinées que des cinéphiles. Ce genre d’adaptation a gagné tant de popularité qu’elle est même devenue une source d’inspiration pour les créateurs de séries. Il n’y a qu’à voir l’engouement que suscitent The Walking Dead et l’annonce de Preacher chez HBO pour comprendre l’ampleur du phénomène. Chaque camp défendra toujours ses arguments en faveur de la version papier ou de la version filmée, mais les deux sont sans aucun doute bourrés de talent et dignes d’intérêt.

(1) Captain America, Hulk, Spider Man…

(2) Batman, Green Lantern, Superman, Wonder Woman, Joker…

(3) Comme dans The Killing Joke (DC Comics, 1988), mettant en scène Batman et le Joker dans un roman graphique. Le livre a sa propre trame, mais elle est en continuation avec les comics Batman publiés auparavant. (4)A lire : http://www.marianne.net/Des-femmes-et-des-bulles_a235109.html

(5) Attention, à ne pas confondre avec The Dark Knight (2008) et The Dark Knight Rises (2012) qui n’ont en commun avec le roman graphique que le nom.

(6) A écouter : http://www.lemouv.fr/diffusion-watchmen

(7 )“I didn’t design it to show off the similarities between cinema and comics, which are there, but in my opinion are fairly unremarkable. It was designed to show off the things that comics could do that cinema and literature couldn’t. » Alan Moore dans une interview avec Danny Graydon pour Variety.

(8) “My book is a comic book. Not a movie, not a novel. A comic book. It’s been made in a certain way, and designed to be read a certain way: in an armchair, nice and cozy next to a fire, with a steaming cup of coffee…” Alan Moore dans une interview pour Entertainment Weekly en 2001.

Pour aller plus loin :
Une version animée des bandes dessinées des Watchmen : https://www.youtube.com/watch?v=mLdqKIj3-A0

Written by LA REVUE Y