Cet article est extrait du n°11 de la revue Y, téléchargeable ici.

Parler de jeux interdits peut se révéler paradoxal. Un jeu, dans le principe, est divertissant, amusant, bref… bien loin de l’idée d’interdit ou de censure. Pourtant, cette idée a ponctué l’histoire du jeu en général, et plus particulièrement celle du jeu vidéo. Instauré par la loi pour « protéger » le consommateur ou l’État lui-même, cet interdit a plusieurs visages.

Postal 2

Politiquement incorrect et violence gratuite

Le monde du jeu vidéo aura rarement accueilli un plus bel exemple de déchaînement de violence gratuite qu’avec Postal. Développé par Running With Scissors (un nom plus qu’évocateur), et édité par Ripcord Games, le nom de Postal n’a d’autres origines que l’expression « going postal », signifiant « perpétrer des crimes de masse »… on a hâte.

Le premier volet est sorti en 1997 sur Mac et PC, ouvrant la voie à un deuxième épisode encore plus tordu en 2003. Au cœur d’un scénario dramatiquement creux, notre héros, un marginal, va devoir vivre une semaine dans une petite ville américaine afin d’effectuer des tâches plutôt sans intérêt, comme acheter du lait ou récupérer son chèque de salaire. Dans ses poches, un bidon d’essence, une pelle, et d’autres ustensiles lui permettant de dézinguer à tout va… sans aucune raison.

A l’époque, les développeurs se défendent en déclarant que rien n’oblige le joueur à sombrer dans la violence. Sauf que dans la plupart des cas, rester zen et pacifique rallongera considérablement la durée de vos missions, vous obligeant par exemple à subir une file d’attente interminable pour obtenir un autographe, alors qu’il serait bien plus simple… de l’exterminer ! Ben voyons… Ce jeu, un véritable ovni tant sa cruauté est sans limite, reste aujourd’hui un cas plutôt unique, et a bien sûr été censuré, notamment au Brésil et en Nouvelle-Zélande, pour « ultra-violence ».

MCDO1A croire que 1997 était une année dérangée, un autre titre extrême est né à la même époque : Carmageddon. Développé par Stainless Games, ce jeu de course consiste, comme tout jeu du genre, à aller vite, et à finir premier. Sauf que contrairement aux traditionnels Gran Turismo ou autres Need For Speed, Carmageddon peut se gagner en détruisant les bolides de ses adversaires – dont des corbillards customisés – ou en écrasant tous les piétons que l’on trouve sur son passage… Comble de l’horreur, les traces de sang laissées sur la route par votre véhicule attribuent au joueur un bonus « d’impression artistique ». A sa sortie, les pays de distribution forcent même les développeurs à remplacer les passants par des zombies pour ne pas empêcher sa distribution.

Contrairement à nos deux précédents exemples, les jeux violents ne sont pas tous logés à la même enseigne en matière de scénario… fort heureusement !

La série Grand Theft Auto constitue un bon exemple de violence gratuite, à tel point que l’Australie, les Émirats Arabes Unis et le Japon en ont censuré certains volets pour ultra-violence et usage de drogues. Sauf que contrairement à nos deux précédents cas, la série développée par Rockstar Games utilise cette violence comme une critique des Etats-Unis, n’hésitant pas à l’exacerber pour illustrer ses propos. Et l’éditeur n’en est pas à son premier coup d’essai. Son excellent Bully, ou Canis Canem Edit dans sa version originale, critiquant fortement la violence en milieu scolaire, a été notamment censuré au Brésil pour… violence excessive en milieu scolaire. Et encore, tout cela n’est rien face aux réactions de pays un poil plus totalitaires : tandis que la Chine a interdit le jeu Football Manager car celui-ci présentait le Tibet comme un pays indépendant, les Emirats Arabes Unis ont eux interdit… la série des Pokémon dès 2001 pour apologie du sionisme et des jeux d’argent.

Cette chasse aux sorcières montre bien une chose : un jeu vidéo peut avoir un impact majeur en un minimum de temps, et peut surtout maquiller des idées engagées plus facilement qu’un autre média. Cet avantage crucial a donc rapidement donné l’idée à des développeurs de se servir du jeu vidéo pour protester, à l’image de Molleindustria.

 Every Day

Les jeux engagés et militants

Porté par des artistes militants et des développeurs, le concept Molleindustria est né en 2003 en Italie. Celui-ci développe des petits jeux Flash d’une simplicité déconcertante, sauf que ceux-ci traitent de la pédophilie, des abus de l’industrie des fast food, ou encore de la précarité du travail ou de la liberté de la presse.

L’un de leurs mini-jeux les plus marquants est sans nul doute McDonald’s Videogame, où l’on joue le rôle d’un directeur de restaurant qui doit à tout prix développer la célèbre franchise. Jusque-là, rien de polémique. Sauf qu’après quelques parties, on se rend compte que la seule chance que l’on a de survivre plus de quelques minutes est de raser des forêts pour gagner de l’espace de culture, de corrompre des nutritionnistes ou de rajouter des additifs toxiques dans la viande pour augmenter la production…

Un autre jeu du collectif consiste également à incarner un salarié lambda durant une journée entière : Everyday The Same Dream. Le principe ? Suivant les choix du joueur, son personnage peut se lever, s’habiller, aider un clochard, se rendre au travail pour se faire hurler dessus par son patron, ou se suicider… Et quelle que soit la fin choisie, le salarié se réveille inévitablement dans son lit, pour recommencer, encore et encore. L’ambiance est grise, morose, monotone, insupportable pour le joueur. L’objectif est simple : interpeller l’opinion sur la précarité et la dépression au travail.

Se finançant grâce à des dons et à la vente de ses jeux sur le marché Android (car banni de l’App Store), le site est notamment parvenu à faire un don de six mille dollars à une ancienne salariée des usines Foxconn (fabriquant les iPhones), sévèrement handicapée après avoir tenté de se suicider en sautant du haut de son usine.

Pour résumer, la violence dans les jeux vidéo est souvent utilisée comme fil conducteur pour exprimer les idées des développeurs. Marquant tout de suite les joueurs, elle a souvent un impact important mais fait courir le risque d’une censure par les gouvernements des pays de distribution. Cependant, si vous ne vous sentez pas d’humeur militante, vous pouvez toujours vous défouler un bon coup, personne ne vous verra !

Written by Benoit Gisbert-Mora