Un paon bleu se prélasse sur le toit de la remise. Un chien dépose un ballon usé à nos pieds, sa queue battant l’air à toute vitesse, prêt à bondir pour aller le rechercher. Un groupe d’oies passe devant nous en cacardant.

Non, je ne rêve pas. Je suis bien à 1 minute à pied des amphis de Nanterre, à 5 minutes du RER A et à 7 minutes du Kusmi Tea de La Défense en train de me balader dans une ferme et, croyez-moi, pas dans n’importe laquelle.

La Ferme du Bonheur se construit jour après jour depuis 22 ans, avec les foules du public et l’aide hasardeuse de subventions de tout le monde (état, région, département, mairie, privés… « jamais de grosses sommes », précise Roger). Quant au P.R.E (Parc Rural Expérimental) qui contribue à la nourrir, il a été engagé sans autorisation il y a 6 ans sur la dernière friche sauvage et libre du « projet urbain mégalomane » du Grand Axe dit aussi « Axe historique » (depuis les Tuileries…), à proximité de la Défense, dans l’exaltation d’une «prise d’autorité commune, libre, spontanée, aléatoire, précaire… » initiée et conduite par le charismatique auto-déclaré «communiste croyant non pratiquant», j’ai nommé : Roger des Prés (La Ferme du Bonheur, 2015).

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La Ferme du Bonheur héberge des rencontres-débats, des projections cinéma, une table d’hôtes, des soirées électro qui, en été, détrônent aisément celles du Rex, et accessoirement, des artistes et intellectuels – avec ou sans diplôme – qui, m’a-t-on-dit, prennent le temps de penser et se donnent les moyens de bâtir.

À n’en pas douter, la première soirée que je m’apprête à passer à La Ferme du Bonheur s’annonce passionnante. La proximité du RER A, toutefois, me rassure. Je suis une misanthrope ; ma  farouche liberté -ou ma fierté peu assurée- ne font pas bon ménage avec les contraintes du groupe dont je me méfie instinctivement, à plus forte raison lorsque l’on me dit qu’il a des affinités communistes. Bref, le fait de pouvoir à tout instant lever le camp ne me déplaît pas.

– Je te présente Hélène ! me dit Hélène en me montrant une petite truie dans son enclos.

Je passerais bien mon après-midi à flatter les cochons, lapins, chiens et autres animaux de ferme dont la vision me remplit d’autant de bonheur qu’elle m’a figée de tristesse au Salon de l’Agriculture ; mais nous ne sommes pas venues (seulement) pour cela.

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Ce samedi 21 mars, La Ferme du Bonheur sort de sa trêve hivernale et, s’éveillant pour le Printemps des Poètes, propose une rencontre-débat au sujet du livre de Hacène Belmessous, « Le Grand Paris du séparatisme social ».

Nous quittons Hélène (la truie) et poussons la porte de l’espace où le débat a lieu. À l’entrée, une table recouverte de pots de miel et un tableau sur lequel sont présentés les encas du jour :

Oeuf bio : 1 euro / Pomme cuite au four : 2 euros.

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« Roger, le chef de la Ferme ! » Me glisse Hélène en désignant un homme en toque et Keffieh attablé à proximité de l’âtre, au centre d’une dizaine de personnes qui attendent le coup de départ du débat.

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Je lève les yeux. Au-dessus de moi,  des paniers en osier, des lampions colorés et un grenier que j’imagine rempli de foin.

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Au fond de la salle, une cage à oiseaux dotée d’une balançoire que se disputent deux ravissantes colombes.

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Il faut l’admettre, les collectifs ont du bon. En moins de 15 secondes, me voici assise au coin du feu, un chat sur les genoux et une tasse de thé dans les mains, baignée d’un tel bien-être que je dois faire un effort pour m’intéresser au débat qui démarre.

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Un débat comme on les aime. Passionné, réaliste, utopique et critique.

Décortiquant le projet du Grand Paris, Hacène Belmessous nous explique comment le territoire des villes est devenu une « banale marchandise » propre à être vendue ou louée mais de moins en moins habitée, bref « un vaste Monopoly où les individus les plus aisés acceptent de payer des fortunes pour ne plus vivre à proximité des pauvres et des étrangers » (Hacène Belmessous, 2015).

Belmessous nous parle également des résistances au « lobby spéculo-­marchand » et notamment de celle des « engagés » de la  Ferme du Bonheur « résolus à faire valoir la possibilité d’une autre ville ».

Roger se rebiffe. Il ne veut pas du Pouvoir et n’est donc pas dans une posture révolutionnaire, même si on l’affuble souvent de ce qualificatif ; il préfère se définir comme constructeur, expérimentateur.” L’essentiel, dit-il,  c’est de faire. « Parfois, je vais plus vite que les autorisations alors je m’arrête et j’attends ».

Un peu plus tard dans la soirée, on mangera la soupe du jour (un excellent Minestrone) avant de passer dans la Salle de Bal pour assister à la projection du difficile mais nécessaire film franco-syrien  « Eau Argentée ».

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Et le RER A, tout d’un coup, paraîtra infiniment loin…

La Ferme du Bonheur

Site internet

http://lafermedubonheur.over-blog.net/

Programme 

Conférence : Fêter La création d’un commun éphémère  vendredi 10 avril.  Une rencontre-débat du Master professionnel Projets culturels dans l’espace public de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

La Table d’Hôtes : formule bouillon en attendant la réouverture en grand, tous les mercredis et jeudis de 16h à 22h et les dimanches de 14 à 20h ; des goûters, des soupes, des petites et belles assiettes… en mode tapas ou zakouski… au chaud dans la salle de bal, dans la cour au soleil, autour de la cheminée en mi-saison…

Tous les dimanches : Travaux agro-poétiques au Champ de la Garde sur le P.R.É. Transhumance de la Ferme au Champ à 14h, à 15h dès le mois prochain.

Accès

La Ferme du Bonheur
220 avenue de la République 92000 Nanterre
01 47 24 51 24
contact@lafermedubonheur.fr

En RER
RER A direction St Germain en Laye, Arrêt Nanterre Université. Traversez la Fac. Longez la Palissade des Poètes  avec des cirques derrière, des vignes devant. Soudain, 2 pianos s’enfoncent dans la terre ! Passez entre : Porte en bois, cloche en bronze…

En voiture
Porte Maillot, direction La Défense, puis A14 Poissy Rouen. Prendre ensuite l’A86 direction St Germain en Laye. Prendre la 1ère sortie n°36 (Nanterre centre). Au feu à gauche, encore au feu à gauche. Environ 2,5 Km plus tard, à droite : Nanterre Université. Entrez, garez-vous. Longez la Palissade des Poètes  avec des cirques derrière, des vignes devant. Soudain, 2 pianos s’enfoncent dans la terre ! Passez entre : Porte en bois, cloche en bronze…

Written by Camille Meier

Amoureuse des mots et du débat