Dans cette nouvelle flash-fiction, rien n’est tout à fait vrai mais rien n’est tout à fait faux. Parfois c’est drôle, souvent c’est tragique. Laissez-vous tenter par une micro-nouvelle inspirée du monde réel. Aujourd’hui on vous raconte l’exode version USA.

Flash-fiction Exodus

©unslpash-jordy-neow

Exodus.
Souvenirs d’une petite fille qui venait d’avoir 7 ans, elle s’appelait Velvet Evans.

C’était une froide journée de novembre, un peu de fièvre m’avait obligé à manquer l’école. Papa qui, comme chaque jour, était parti travailler très tôt, est revenu à la maison pour nous annoncer que nous partions le jour même pour rejoindre le Cap Breton où j’avais un vague cousin.

Je me souviens encore de sa voix tremblante quand il nous confirma ce que nous redoutions tant.

Ce jour-là maman avait fait la lessive et tout le linge séchait dans notre petit logement. Ce fut un vrai branle-bas de combat ! Maman ne cessait de répéter « Oh my God! Oh my God! » en décrochant un à un les slips de papa. En d’autres circonstances cela aurait pu me faire rire…

En l’espace de quelques heures, toute notre vie était chargée à l’arrière du vieux pick-up rouge de papa. J’avais aidé comme je pouvais…

Maman dut laisser derrière elle ses parents. Trop âgés, ils refusaient de quitter la ferme dans laquelle ils avaient vécu toute leur vie. Ils préféraient mourir, les pauvres hères. Ce fut un au-revoir qui avait les accents d’un adieu.

Je n’étais qu’une petite fille mais je sentais l’angoisse de mes parents. Je surprenais constamment leurs chuchotements inquiets qui cessaient dès qu’ils m’apercevaient. Mon père me souriait alors, mâchoire crispée, et se lançait dans un petit discours enjoué. Je crois qu’au-delà de tout, c’est ce qui me terrifia le plus.

Puis nous avons pris la route. Ce fut un moment très excitant pour moi. Je n’avais que 7 ans et pour moi ce voyage ressemblait sacrément à un départ en vacances. Je passais le plus clair de mon temps le nez collé à la fenêtre. C’était la première fois que je voyais le paysage changer au gré des kilomètres.

Bientôt nous n’étions plus seuls. Petit à petit, par grappes, la route se remplissait. De gros 4×4 me bouchaient la vue, des motos zigzaguaient entre les véhicules, de petites voitures dont le bas de caisse touchait presque le sol croulaient sous l’amas de possessions diverses, j’ai même vu une charrette tirée par un cheval. En quelques heures à peine nous nous transformâmes en une file ininterrompue faite de bric et de broc.

Bien vite, cela engendra des drames. D’abord, la menace fut intérieure, les conducteurs s’insultaient, se battaient parfois. La tension montait parmi les exilés. Puis tous ces pauvres gens qui fuyaient devinrent la cible de pillards, voleurs et violeurs, même si à l’époque je ne m’en rendais compte que confusément… Les exilés finirent par se constituer en convoi et les hommes organisèrent des milices chargées de protéger leurs maigres biens. Pendant un temps, je m’endormis au son des « tacatac » des armes automatiques. Chaque lendemain matin laissait voir un paysage plus désolé que la veille. Des voitures brûlaient sur le bas-côté, des corps gisaient çà et là, mutilés et baignant dans leur sang. Un groupe était chargé de les tirer sur le bas-côté et de les recouvrir d’un drap blanc mais il y en avait toujours quelques-uns qui leur échappaient…

Puis les pillages cessèrent pour un temps et le voyage ressembla à nouveau à un long départ en vacances. Nous avancions très lentement ce qui laissait le temps à la marmaille de faire connaissance.

Nous avons connu toutes sortes d’hébergement : le pick-up bien sûr mais aussi des granges, des salles des fêtes et même la suite d’un hôtel dont mon père connaissait le gérant. Les soirs de salle des fêtes étaient une sorte de roulette russe qui réveillait en moi excitation et inquiétude. Le plus souvent nous nous endormions au son des reniflements, gémissements et autres lamentations. Mais parfois assez de gens avait le cœur à la fête et le vieux Henry sortait sa guitare de son vieil étui usé. Il le fit jusqu’aux portes de l’État de New-York, où une balle, pile entre les deux yeux, l’empêcha définitivement de chanter.

C’est là-bas que ce fut le plus dur, même du haut de mes 7 ans je sentais la tension, l’hostilité et la haine. Je me souviens d’une petite ville de l’État où les habitants s’étaient réunis pour nous voir passer. C’était la fin de journée, l’atmosphère était lourde, les gens fatigués… Nous avancions au pas dans la rue glacée. Au début rien ne se passa, les gens nous toisaient en silence, puis il y eu un éclat de voix, des sifflets, et un premier projectile fusa, suivi de bien d’autres. Il y avait des aliments, des déchets, des morceaux de ferraille, de bois. Puis la foule se referma sur nous, envahissant la route, sortant de pauvres gens de leur voiture pour les passer à tabac, brisant à coups de battes vitres et phares, nous traitant de lâches et de traîtres. La police ne bougea pas, indifférente à notre sort.

Je ne me souviens plus de la manière dont nous avons réussi à sortir de là. En revanche, je n’oublierais jamais la chaleur de la honte… J’avais souillé ma culotte. Après ça, je refusais de sortir de notre vieux pick-up jusqu’aux portes du Canada.

Puis nous sommes arrivés au Cap Breton, charmante région faite de falaises et de grandes étendues herbeuses d’un vert à couper le souffle. À mon arrivée je n’avais qu’une seule crainte : parlaient-ils anglais ? Aaron, une petite terreur qui était dans ma classe, m’avait soutenu que les canadiens parlaient français. J’avais bien sûr demandé confirmation à mon père qui avait démenti mais je craignais qu’il  ne m’ait menti pour me convaincre de partir.

Je suis vieille maintenant et je n’ai jamais pu me résoudre à quitter ma terre d’adoption. Quelle qu’ait été la douleur de quitter ce que j’avais toujours connu, quoi qu’ait pu me faire éprouver ce long voyage, quelles qu’aient été les humiliations d’une petite fille immigrée, je remercie chaque jour mon père de nous avoir épargné l’horreur que sont devenus les USA depuis que leur président s’appelle Donald.

Librement inspiré du récit de l’exode de ma grand-mère Yvette E.

La vraie actu :

Written by Léna