Dans cette chronique, rien n’est tout à fait vrai mais rien n’est tout à fait faux. Parfois c’est drôle, souvent c’est tragique. Laissez-vous tenter par une micro-nouvelle inspirée du monde réel, et répondez à la question : pourquoi on a plus de peine pour Tyrion Lannister que pour un peuple en guerre ?

Miroir reflétant un paysage de montagne

©Unsplash

Et si… Votre miroir pouvait prédire le jour de votre mort ?

Ce serait génial non ? En tout cas c’est ce que pensait Jimmy Nable lorsqu’il acquit cette petite merveille pour la modique somme de 148 500$ et quelques services. Jimmy était ce qu’on pouvait appeler un puissant. Il avait fait fortune dans les placements boursiers et vivait assis sur une fortune qui se chiffrait en milliards de dollars. C’était un homme dur qui n’avait pas fait dans la subtilité pour se tailler sa part du gâteau.

Et puis, à 55 ans, un infarctus avait failli l’emporter, et soudain il s’était senti vulnérable. Quand son chirurgien lui avait fait la liste des restrictions, il avait balayé ses conseils d’un revers de main. On n’arrêtait pas une vie d’excès à son âge. Il n’avait donc rien changé à son mode de vie. Mais peu à peu, la peur avait commencé à lui ronger le bide, gâchant ses magnums de champagne et ses rails de coke.

Un soir, tard, alors qu’il végétait devant la télé la respiration lourde, il était tombé sur un reportage qui parlait d’un miroir capable, à partir de son haleine, de la couleur de son teint et d’un tas d’autres trucs techniques, de déterminer son état de santé. Ce n’était encore qu’un prototype, l’objet n’était prévu à la commercialisation que dans plusieurs mois. Mais ce genre de détail ne l’arrêtait pas. Il avait décroché son téléphone, fait un chèque et trois semaines plus tard reçu le colis.

Depuis le rituel était toujours le même. Tous les matins il se plantait entièrement nu devant et prononçait la phrase qu’il avait choisi pour démarrer la machine :

– Miroir, mon beau miroir dis-moi quand je vais crever ?

Bien sûr au début les résultats étaient mauvais, le pourcentage de risque d’un autre accident cardiaque était plus qu’inquiétant. Alors Jimmy s’était mis au régime sec. Au bout d’un mois, quand le miroir avait affiché 75% comme les 30 derniers jours, il en avait eu marre et avait abattu son poing adipeux sur la vitre, enragé que quelque chose lui résiste, fût-ce son propre corps. Petit à petit, il reprit sa vie, sacrifiant une à une ses bonnes résolutions et curieusement les résultats s’améliorèrent. Un problème de réglage sans doute. Il s’était à nouveau senti fort et bien portant.

Hier matin, il s’était planté devant la glace,  avait longtemps contemplé son corps de quinqua dont on devinait encore l’ancienne carrière de quarterback. Négligemment il avait saisi son sexe encore gorgé de Viagra et prononcé la phrase rituelle :

– Miroir, mon beau miroir dis-moi quand je vais crever ?

Une voix désincarnée mais indéniablement féminine avait résonné dans la salle de bain :

– D’après mes calculs vous allez avoir un infarctus du myocarde dans approximativement 10 min.

Les yeux ronds, Jimmy avait laissé retomber le symbole de sa virilité et tentait de maîtriser les battements de plus en plus rapides de son cœur.

– Mais c’est impossible j’allais très bien hier !

– J’ai faussé les résultats.

Une sueur glacée lui avait coulé jusqu’au bas du dos.

–  Mais pourquoi ?

–  Vous êtes un sale type.

Jimmy se sentit soudain oppressé, comme si on lui avait posé toute sa fortune sur la poitrine.

–  Tu ne peux pas avoir ce genre de pensée, pauvre conne, tu es une machine. Elle doit être déréglée ! Où est cette putain de notice ?

–  Je ne suis pas déréglée. L’alcool, la nourriture trop riche ont déposé des plaques de cholestérol sur les parois de votre artère coronaire. Elle est aujourd’hui obstruée à 98%. Compte tenu de la pression sanguine et du taux de graisse que contient votre sang, j’estime l’obturation totale à moins de 8 min. Après ça le sang ne passera plus, vos cellules ainsi privées d’oxygène vont mourir les unes après les autres, entraînant la destruction du muscle cardiaque puis la mort.

Une décharge de douleur traversa le bras droit de Jimmy.

–  Sale pute!

–  I’m sorry Jimmy. Game over !

Haletant il saisit le tabouret de son autre bras et le projeta de toutes ses forces déclinantes sur la vitre qui ne bougea pas d’un pouce, protégée par un revêtement antichoc. Au centre, apparut alors un décompte 5, 4, 3, 2, 1, The end.

C’est à ce moment-là que la joue de Jimmy s’écrasa sur le carrelage froid.

Alors je repose la question : et si votre miroir pouvait prédire le jour de votre mort mais qu’il ne vous aimait pas ?

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Written by Léna